Le cyclisme, c’est un monde que je regarde avec une certaine distance. Mieux encore, il y a trois mois, je n’y connaissais rien, quand on me parlait de Cavendish je pensais qu’il s’agissait d’une marque de whisky. Et puis le hasard de la vie a fait que le vélo m’est tombé dessus, un peu par hasard. C’est arrivé comme ça, un jour entre deux limonades au Vauban, où un habitué des lieux, Jean Vantalon, grand expert émérite de la cause cycliste et brestois me dise, façon brestoise « Hervé, t’en as pas marre de photographier Miossec et compagnie ? Tu devrais venir avec nous faire des photos de vélo ! » Des photos de vélo ? Qu’est-ce que j’irais bien foutre à photographier des vélos avec des mecs dessus. Pour moi, le cyclisme, c’était un sport vaguement populo, avec Yvette Horner qui joue de l’accordéon debout sur le capot de la 404. Moi, le cyclisme, j’étais resté coincé dans les années soixante-dix, Anquetil, Poupou l’éternel second, Eddy Merckx le cannibale et puis l’autre, là, au début des années quatre vingt, le petit gars d’Yffiniac, qui raflait tout sur son passage. À part ça, le vélo et moi, ça faisait deux. Alors, aller me geler les miches sur la route, à photographier des péquenots à vélo, très peu pour moi. Mais ça, c’était avant.
Je n’ai pas accepté l’invitation de mon ami Jean l’an passé et aujourd’hui je m’en mords les doigts et le reste. J’ai raté une année et sans doute de belles rencontres, mais c’est finalement sans importance. C’était écrit que ma rencontre avec le cyclisme pro aurait lieu cette année. J’ai enquillé plusieurs courses et j’ai compris la réalité du monde du cyclisme en ayant le privilège d’accompagner des cyclistes professionnels, dans une équipe professionnelle, les anglais de la Team Raleigh, de comprendre les évolutions de ce monde, depuis trente ans et pas seulement au niveau technique. J’ai beaucoup écouté et pas du petit calibre. Des purs passionnés, esthètes parmi les esthètes, et naturellement Bernard Hinault lui-même. Quel phénomène ce bonhomme ! Pas seulement parce que durant sa courte carrière d’une petite dizaine d’années il a fait main basse sur tous les trophées, cinq fois le tour de France, champion du monde, la liste est longue comme le bras. Non le titre de blaireau, de patron du tour n’est pas usurpée. J’ai passé quatre jours à ses côtés, dans le Connemara. Je n’ai évidemment pas la prétention de le connaître, mais pendant ce séjour, il m’a raconté des anecdotes savoureuses, avec ce sourire massif qui n’appartient qu’à lui. Quand Bernard n’est pas d’accord, ça s’entend. Un soir, à la fin d’un dîner, je lui glisse en souriant : « Tu as dit un jour à une journaliste que tu t’étais dopé tous les matins ? » Bernard me regarde, son visage s’éclaire et il me répond dans un éclat de rire : « Oui ! Tous les matins avec mon café ! » Il m’avait parlé du dopage, cité cet exemple de Richard Gasquet contrôlé positif à la cocaïne, mais c’était une consommation involontaire, pensez donc, il avait roulé une pelle à une nana chargée à la coke dans une boîte de nuit. Deux poids, deux mesures. Le visage de Bernard s’était assombri. « Qu’on contrôle le vélo, qu’on lutte contre le dopage, d’accord. Mais pourquoi uniquement le vélo ? » Et surtout pourquoi sortir un rat crevé sous l’armoire chaque année à une semaine du tour de France ? Le coup de gueule de Bernard Hinault aujourd’hui ne dit rien d’autre. On voudrait tuer le tour qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
Le problème de la stigmatisation du dopage en général, dans le vélo en particulier, c’est qu’on en arrive à suspecter tout le monde, sans exception. C’est un peu comme en politique, lorsque d’un revers de main on balaye les partis de tous bords en gueulant « tous pourris ! » Eh bien non justement. Tous les sportifs ne sont pas dopés au même titre que tous les politiques ne sont pas pourris. Certains cyclistes professionnels ne se sont jamais dopés. Poulidor par exemple. Et les plus cyniques diront que c’est la raison pour laquelle il n’a jamais gagné le tour de France, parce qu’en face de lui il avait un Anquetil chargé comme une mule, c’est désormais de notoriété publique. En revanche, le blaireau a raison lorsqu’il déclare, à propos du monde cycliste « On n’est peut-être pas plus blanc que les autres, mais on n’est pas plus noir non plus ! » Alors ne comptez pas sur moi pour hurler avec les loups. Qu’on demande la moralisation du sport cycliste, soit. Mais que les fédérations sportives, le C.I.O. et consorts balayent aussi devant leurs portes. À bien y regarder, à fouiller attentivement sous leurs armoires respectives, on pourrait bien trouver aussi quelques rats crevés, non ? Eh bien non, justement, comme le souligne Hinault. Parce que, bizarrement, les flacons des années quatre vingt dix n’existent plus, dans les autres sports. Quel dommage, non ? Il y aurait sûrement beaucoup à apprendre des analyses de footballeurs de la fin des années 90, mais ça on y touchera pas, parce que là on est dans le sacré. Et peut-être la raison d’état.
Hervé LE GALL
photographe
Hinault : « On veut tuer le Tour de France, qu…par Europe1fr