Ces deux là se sont rencontrés dans le peloton des années 80, ils se sont flingués à bouts portant mais ils étaient « leurs meilleurs adversaires ». Joel Pelier, l’équipier du king Sean Kelly au sein de la mythique KAS et Bruno Cornillet l’équipier de Bernard Hinault chez la Vie Claire ou de Greg Lemond chez « Z » ont écrit quelques belles histoires dans ce grand livre du cyclisme.Malgré leurs différents blasons ou rois, ils sont toujours restés amis, pas de ceux avec qui on sirote une bière au comptoir du coin certains soirs venus mais bien de ces potes qui vous restent fidèles même quand la poisse vient toquer à la porte. Les courses, la souffrance, le gout de la baston, des victoires les ont unis à jamais.
Un beau palmarès chacun et surtout un amour inconditionnel pour cet art de vivre . Et ces derniers jours, l’avenir de leur cyclisme leurs parait bien sombre. Nombre de batailles sont annulées, nombre d’équipes craignent pour leurs avenirs, et surtout nombre de clubs formateurs risquent de disparaître à jamais tout comme certaines courses locales.
Cette crise a poussé ce système, déjà vacillant ces dernières années, au bord du gouffre . Même si les courses pros repartent, il nous faut absolument revenir à nos bases, nos fondamentaux, à « ce côté humain » du vélo qui a fait place dorénavant à « l’élitisme des techniciens » comme le confie les deux champions.
Bruno Cornillet et Joel Pelier, comment s’est passé ce confinement?
Bruno Cornillet; « En tant que pilote de ligne (chez HOP), tu es rarement chez toi. Donc là, j’en ai profité pour me reposer, me recentrer et lire énormément comme des livres sur la condition humaine. Puis à la sortie du confinement, je suis resté avec les miens, mes enfants, ma compagne et mes amis comme Joel. Ils sont ces bases essentielles pour mon équilibre. Je me suis rechargé les batteries en quelque sorte. Plutôt positif ce confinement au final. «
Joel Pelier; « En tant qu’artiste sculpteur, je me mets souvent en mode « confinement » pour trouver mon inspiration, ma créativité. Donc ce moment ne m’a pas trop changé de mes habitudes. Là où je n’ai pas eu de chance, c’est que je crée juste mon entreprise, mon atelier d’arts déco que j’ai baptisé « l’Etincelle« , tu sais ce petit truc que l’on a dans les yeux quand nous sommes gosses et qui ne s’éteint jamais, celle qui nous donne envie d’aller flinguer pour une échappée de dingue sur les plus belles courses. Cette petite lueur est toujours là en moi et elle s’allume encore lorsque je crée une oeuvre. Donc ça a été. »
Quel bilan de cette crise?
Joel Pelier; « J’ai envie de te dire « quel merdier »! Mais en même temps, cette crise à montré que notre monde est instable et qu’il est surtout fragile, aussi bien sur le plan écologique que sur le sanitaire ou économique. On a beau annoncer telle ou telle mesure, personne ne sait où aller ni comment faire pour s’en sortir…
Les petites entreprises en seront les premières victimes, tu sais ! Rien que sur les TPE (Très petites entreprises) comme la mienne, on sait que l’on va perdre 30% de notre effectif en 2021. Et les entreprises locales comme les PME aussi, de celles qui sponsorisent le club du coin ou la course régionale. Elles ne seront pas prêtes d’investir de nouveau dans le sport car elles veulent d’abord sauver leurs employés. Donc, oui, il nous faut revenir à nos fondamentaux. Il y aura moins d’argent des entreprises c’est certain mais j’espère que le peu que l’on aura, on l’injectera aussi à cette base amateur car c’est la seule valeur sûre à l’heure actuelle: la revalorisation de notre patrimoine départemental ou régional.
Donc, il serait peut-être temps de revenir à nos fondamentaux aussi bien sur le plan économique que ceux du sport je pense. Tu en penses quoi, toi, Bruno?
Notre cyclisme doit absolument se réinventer
Bruno Cornillet;
« Oui, exactement. Là on vit une crise terrible qui met en évidence les failles de nos systèmes. On navigue dans le brouillard, sans radar et sans appareils pour nous guider. Il serait temps de reprendre la bonne vieille boussole, non?
Le temps qu’il va nous falloir pour se relever sera long et le sport ne sera pas la priorité des différents gouvernements comme l’a rappelé la ministre des sports dernièrement. Notre cyclisme doit donc se réinventer, et ne plus espérer de l’aide de plus haut et l’apport de nombreuses subventions. C’est à nous de nous en sortir avec nos bases. L’argent public ne viendra plus comme avant, il faudra savoir surtout comment économiser et sur quels supports on devra miser. »
Les courses locales sont délaissées au profit d’un calendrier DN1 et DN2 qui n’apporte rien au cyclisme de base sinon que de l’élitisme encore plus distant
Quels conseils donneriez vous aux instances de notre sport? Joel Pelier;
« En revenant à l’humain. Mince, c’est la base de notre sport ce côté humain ! Il est ce symbole du peuple, il est issu des classes populaires et c’est là qu’est notre avenir. Attention, je ne dis pas qu’avant c’était mieux mais que notre essence a toujours été nous le peuple, nos villages et nos clochers, notre base et on l’a oublié depuis des nombreuses années. Ce virus nous rappelle à l’ordre comme elle l’a fait avec la société. Il nous force à nous remettre en question. Il a raison Daniel Mangeas : retrouvons un cyclisme régional !
Bruno Cornillet: « Tu l’as lu aussi, Joël, alors l’intervention de Daniel? Il a visé juste. Il a parfaitement raison et il est depuis longtemps dans ce cyclisme amateur et pro. Il l’a vu grandir, il reconnait chaque battement de son coeur.
On ne demande pas de revenir en arrière mais de retrouver notre essence qui fait notre force. Les clubs du coin sont ignorés par les instances et les courses locales sont délaissées au profit d’un calendrier DN1 et DN2 qui n’apporte rien au cyclisme de base sinon que de l’élitisme encore plus distant. Alors que c’est là qu’il faut travailler, c’est là que viennent les champions et c’est là que les bénévoles se dévouent sans compter pour eux, sur les courses et dans les clubs »
Le système des DN n’a plus lieu d’exister désormais
Un cyclisme élitiste qui nuit à sa propre base? Bruno Cornillet
; » Oui. Quand j’étais jeune coureur, on avait un CTR (Conseiller Technique Régional). A mon époque, c’était Ange Roussel. Il était vraiment doué pour l’éducation et la détection. C’était lui notre lien vers le monde un peu plus pro. Mais il y avait aussi du monde derrière et notamment les clubs régionaux qui l’appelait quand un jeune gagnait. Quand je roulais tout jeune au UC Lamballe de E.Rohon, il y avait des dizaines de courses dans le coin et on faisait que très rarement 50 km pour en trouver une. Mais la fédération a décidé de créer les DN et la détection s’est faite au niveau national par la suite. Nombre de jeunes ne sont pas détectés et abandonnent. Ce système n’a plus lieu d’exister, désormais et surtout en cette période de crise !
Pourquoi le boucher ou le garage du coin irait il sponsoriser un club s’il n’y a pas de course locale ?Tu crois qu’il vend sa viande ou ses pneus à 1000 km de chez lui ?
Joel Pelier;
» Oui exactement. Je n’ai jamais compris pourquoi insister avec les DN1 à l’heure actuelle? Ca coute un pognon de dingue (comme dirait l’autre) pour les clubs, et en plus ça tue le cyclisme régional. Rien que sur le niveau des sponsors, il y a un exemple criant : les clubs traversent la France pour aller disputer une course dont tout le monde se fout par chez lui, personne n’en parle hormis les initiés.
Elle nous manque cette forme de « Compagnonnage « local dans le cyclisme. «
Ensuite je crois que le cyclisme amateur est devenu trop élitiste avant l’heure. Les jeunes sont déjà des pros encadrés par des techniciens du sports bardés de diplômes UCI ou FFC alors que certains d’entre eux n’ont jamais été coureurs.
Les anciens ne viennent plus car ils n’ont pas ses brevets. Du coup, l’âme du cyclisme en perd beaucoup car ces mecs pensent carrières personnelles (staff et coureurs) et la paye à la fin du mois.
Les anciens sont des sources inépuisables de conseils. Tu crois qu’un forgeron devient ce qu’il est grâce à un bout de feuille? Non, il a écouté les anciens, a amélioré le système. Elle nous manque cette forme de « Compagnonnage » dans le cyclisme. »
Enfin, Bruno a raison car si il n’y a plus de sponsors locaux, il n’y aura plus de clubs formateurs et donc plus de coureurs. Déjà que la fédé demandent énormément d’argent aux organisations bénévoles.
Je me demande pourquoi on a délaissé cette base. Avec la crise, l’argent viendra à manquer. Alors revenons à nos bases, à nos courses de clochers pour redonner envie aux jeunes d’y revenir, revenons à ce côté humain. »
Le cyclisme est devenu un sport réservé aux riches, il a oublié qu’il venait du milieu populaire
Vous paraissez inquiets pour nos clubs formateurs ?
Bruno Cornillet; «
Oui bien sûr. Il y a de moins en moins tout comme moins de courses. Le jeune doit tout donner désormais pour se faire détecter et cela se passe au niveau national et non plus régional.
Du coup, si il ne va pas dans les clubs élites, il arrête alors que l’on pourrait créer un autre chemin, celui qui existait avant et que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre. »
Joel Pelier;« Bruno a raison. Les équipes pros sont liées avec des clubs estampillés DN1. C’est donc la seule façon pour un jeune de se faire détecter par les pros. Mais qui peut aller en DN1? Quels parents peuvent envoyer leurs gamins à 100 km pour disputer une course? Quels parents peuvent investir autant d’argent pour l’achat d’un vélo ou pour du matériel? Ils ne sont pas légion, c’est devenu un sport réservé aux riches, il a oublié qu’il venait du milieu populaire. Je comprends que les clubs formateurs abandonnent leurs missions du coup, je parle des clubs du coin. »
Pourquoi ne pas leurs relâcher cette pression financière (aux clubs formateurs et organisateurs de courses)?
Quelles idées avez vous pour aider les clubs et courses locales? Joel Pelier
; »J’ai été parrain de plusieurs courses comme sur le Kreiz Breizh d’Alain Baniel. Une superbe course où les jeunes des 4 coins du monde viennent se mesurer. Un véritable tremplin vers le monde pro. Mais la somme payée à l’UCI et aux instances pour qu’elle simplement le droit d’exister est astronomique. Donc, pourquoi ne pas leurs relâcher cette pression financière? L’état fait des allégements fiscaux pour les entreprises qui sont en difficulté actuellement alor pourquoi l’UCI ou la FFC ne lâcheraient elles pas un peu de lest sur ce point envers les clubs et organisateurs de courses
Bruno Cornillet; »Oui, je suis d’accord. Et je rajouterai aussi que l’on fasse plus confiance aux bénévoles en les aidant à monter des courses ou des structures plutôt que d’imposer des règles et taxes en ces moments difficiles.
Faisons battre ce coeur, faisons sonner les clochers le week-end. Tout le monde reviendra et le nombre de licences augmentera par la suite, comme avant !. »
Ce sont des gars comme Daniel Mangeas, Cédric Le Ny ou Jean Yves Le Gal (Hennebont Cyclisme) qui ont raison
Joel Pelier
: « Par ailleurs, je voulais rajouter que Bruno et moi avons soutenu un club en Bretagne qui répond à tous les conseils que l’on vient d’évoquer. J’en suis même l’un des parrains.
Il s’agit d’Hennebont Cyclisme dirigé par Cédric Le Ny avec désormais Jean Yves Le Gal ses côtés. Ce club qui met en valeurs les entreprises et courses locales et qui refuse d’aller en DN. Ce sont eux, Daniel Mangeas, Cédric Le Ny ou Jean Yves Le Gal qui ont raison au final, il nous faut revenir au régional. J’ai bien aimé les propos de Jean Yves Le Gal sur votre site par ailleurs. »
Il nous faut ranimer cette étincelle
Votre avenir à tous les deux? Joel Pelier
; « Tu te fous de notre gueule? (rires). Il est derrière nous à notre âge (rires). Non, tu as raison, on a toujours cette étincelle de gosse dans nos yeux. Elle est toujours là. Elle allume le moteur de mon entreprise d’arts déco « L’Etincelle« . Je travaille sur des sculptures en bronze, acier et toutes formes de métal. Il me tarde de retrouver le chemin des expositions.
Puis il y a ASO, je serai normalement sur le Tour de France. J’espère qu’il se fera, ce serait une catastrophe de plus sinon et on n’a pas besoin de ça. Il nous faut absolument ranimer cette étincelle »
Je reviendrai bientôt pour le cyclisme et non pas « dans » le cyclisme. Il m’a tant donné que je veux lui rendre la pareille
Bruno Cornillet
; « Pourquoi crois tu que je me sois rasé le crâne? Pour ne pas voir mes cheveux blancs (rires) ! Je sui toujours pilote et j’ai hate de retrouver le ciel et les étoiles.
Ensuite, je partirai en retraite et je reviendrai pour le cyclisme. J’ai bien dit pour et non pas « dans ». Il m’a tant apporté ce sport que je me dois de lui rendre la pareille. Des choses se précisent mais je t’en dirai plus au moment voulu, quand j’aurai fait atterrir une dernière fois mon avion. »