A 68 ans, Jean-Luc Molineris coule des jours paisibles entre la France et l’Italie. Le vainqueur d’étape sur le Tour de France 1974, équipier des plus grands comme Eddy Merckx, Luis Ocana ou Bernard Thevenet, vainqueur de Paris Bourges 76, double vainqueur de l’Etoile de Bessèges, passe désormais la plupart du temps en Italie. Dans cette maison où souvent se rendait Fausto Coppi, l’ami du padre Pierre Molineris lui même coureur pro et vainqueur d’étape sur le Tour. Il en a vu des vertes et des pas mûres durant ces années de coureur, il a aussi pris des coups dans la gueule tout comme vécu des purs moments de plaisir et de joie incommensurables. En 2018, on le retrouve au milieu de son jardin, retiré loin du vélo. A l’ombre des oliviers, le champion cultive paisiblement ses roses, loin de ce peloton qui part un peu en vrille à la veille du Tour. Que pouvait-il donc se passer pour faire sortir Jean-Luc Molineris de son Eden italien ? Que diable le poussait-il à péter une gueulante? Le champion français s’est simplement souvenu du sort qu’avait subi son ami et coéquipier Eddy Merckx. De cet acharnement dont il fut l’objet par la presse française en 1975, cette fameuse année où il reçut un violent coup de poing donné par un lâche sur les pentes du Puy de Dôme. Eddy s’en était même allé rencontrer l’individu qui n’assuma jamais son geste devant le Cannibale, comble de la lâcheté ! Les Anglais et les Sky, Jean-Luc Molineris s’en fout comme de sa première chemise. Non, ce n’est pas une quelconque passion pour Froome ou le drapeau de la « Queen » qui a fait sortir « Don Molineris » de sa douce torpeur italienne. Mais c’est bien, selon lui, le traitement médiatique avec les attaques d’ASO, du journal l’Equipe, des commentaires de Bernard Hinault et Cyrille Guimard envers un homme nommé Chris Froome qui a fait lâcher la bêche et quitter l’ombre des oliviers de Jean-Luc Molineris.Le Clan Molineris, respecté par le public italien jusqu’à recevoir une plaque en hommage à son ami Fausto Coppi et à son père sur le seuil de sa maison, ne parle que très rarement à la presse. Mais il se sentait l’envie de l’ouvrir, de péter sa gueulante pour une fois et de s’adresser à quelques-uns avant de repartir cultiver son jardin, à l’ombre des souvenirs du Padré et du Campionissimo.
Jean-Luc Molineris, on vous sent énervé par les propos de Bernard Hinault, Cyrillle Guimard et de la presse française en ce moment…
« Bien sûr. il y a de quoi je pense. Je ne connais pas Froome mais je me demande sincèrement si les gens savent de quoi ils parlent. Ok, le gars s’est fait contrôlé avec un taux de Salbutamol anormal. Mais est-ce que ça veut dire qu’il est coupable ? A t-il été entendu par les instances ? Non, rien mais il est déjà jugé coupable et lynché par le tribunal populaire. Mais bordel, les gens savent-ils toute l’histoire de ce test sincèrement ? Non mais les journalistes sont devenus médecins et magistrats. Ils vont vous sortir des pseudo-marabouts qui vont vous prouver par A plus B qu’il était dopé. Mais voilà, il ne l’est peut-être pas au final. Les tests imposés par l’UCI sont obsolètes et datent de la préhistoire. Plusieurs laboratoires à la pointe du progrès peuvent prouver que tout cela est hasardeux et démontrer que l’UCI a annoncé trop vite cette nouvelle… »
C’est à dire?
« Si Sky envoie tout ses avocats, c’est qu’ils sont sûrs du verdict ou alors ils sont stupides, mais j’en doute fortement. Lors de ce test, tout était faussé et ça l’UCI le sait dorénavant, d’où sa lenteur pour le juger maintenant. L’UCI peut perdre gros dans cette affaire, ils le savent, ils peuvent mettre la clé sous la porte s’ils suspendent Froome car son affaire fera jurisprudence. Juste un petit détail : quand vous faîtes du sport durant des longues heures l’été, sous des températures élevées et que vous vous hydratez au minimum nécessaire, votre urine sera foncée avec des taux obligatoirement différents que lorsque vous roulez l’hiver et au froid. De plus, Froome avait une AUT car il était malade comme bien d’autre coureurs dans le peloton et même des Français. Ce jour-là, le test lui décèle un taux anormal de Salbutamol avec un procédé qui n’a été testé que sur les animaux il y a fort longtemps, on part déjà sur des mauvaises bases.
Plusieurs laboratoires hyper performants et très crédibles peuvent vous prouver que les données sont erronées mais ASO s’est engagé tout de suite dans la brèche en faisant confiance à l’UCI pour tenter de virer Froome. Le souci, c’est que quelques mois plus tard, ils ont réalisé que non seulement Froome peut être lavé de toute faute mais qu’Ulissi et Petacchi aussi car ils ont été suspendus par le même procédé. Ils peuvent réclamer des dommages et intérêts avec des sommes énormes à l’UCI et forcément, ça ralentit tout. »
Mais pourquoi ASO voudrait t-elle que Froome ne vienne pas ?
« Il y a combien de temps qu’un Français n’a pas gagné le Tour ? 33 ans. Imaginez seulement si Romain Bardet le remportait. ASO, c’est la société propriétaire du Tour de France et du journal l’Equipe, c’est la même famille au pouvoir. Imaginez seulement les tirages illimités de l’Equipe si un Français gagne le Tour, c’est le jackpot pour eux et pareil pour la fédération qui verrait les licences exposées. Tandis que si un gars comme Froome remporte à nouveau le Tour, ça ne sera pas vraiment la gloire et la fortune en ces temps difficiles. On a besoin de rêves, c’est humain… Donc quand ils ont su pour ce taux anormal, ils ont mis le paquet pour monter une campagne de presse anti-Froome et anti-Sky. Comme le sort réservé à Merckx en 1975, l’histoire se répète. C’est un truc assez fou, c’est machiavélique tout ça… »
Justement, quelle différence entre la campagne anti-Merckx et celle dont Froome fait l’objet?
« Niveau médiatique, il n’y a pas vraiment de différence. J’étais son coéquipier et j’ai vu Eddy souffrir par les propos virulents de la presse française à cette époque. Par ailleurs, c’est depuis ces années-là qu’il a arrêté d’être sympa avec la presse en général. Il avait morflé et il avait pris des coups dans la gueule physiquement par mes propres compatriotes, ce public que j’estimais tant, j’avais honte pour nous, Français. Mais la presse avait fait son travail de sape pour que Thévenet puisse gagner, et à cette époque ça ne restait que la presse. En 78, avec la victoire de Bernard Hinault, ça s’est un peu calmé mais on avait passé déjà un cap dans la bêtise. »
Eddy Merck avait, par ailleurs, déclaré en 1975: » C’est la première fois qu’on a eu des hooligans sur le Tour. Des inconscients. J’étais le premier à pouvoir gagner six Tours. Mais j’étais étranger, et il y avait une animosité. C’est d’ailleurs pour ça que je n’ai pas fait le Tour en 1973 . »
Dorénavant, le public tricolore est encore plus violent physiquement. Je pense qu’ASO et l’Equipe ont monté la mayonnaise à tel point que certains fans qui ne connaissent rien au problème et ne veulent pas d’ailleurs le connaître, sont prêts à s’en prendre physiquement au Team Sky et Froome pour qu’un Français gagne. La mayonnaise a tourné au final. Vous rendez-vous compte que l’on parle de sport et que des abrutis veulent en venir aux mains en parlant de « faire tomber cet anglais » sur les bords des routes du Tour de France ? Mince, on parle de sport là. Ca va mal finir, il va y avoir un drame sur ce tour 2018. A qui la faute ? ASO le sait et c’est pourquoi ils ne veulent pas que Froome vienne.
Vous en voulez à la presse ?
Oui, a défaut d’écrire sur des Français vainqueurs de grands Tours, ils font du buzz coûte que coûte… Du buzz encore et encore pour vendre leurs papiers quitte à détruite la vie des hommes. Cette même presse fait et défait les hommes, à leur bon gré.
Vous avez croisé Cyrille Guimard et Bernard Hinault en tant que coureurs. Eux mêmes ont donné leurs points de vue sur l’affaire Froome, c’est qu’il y a peut être quelque chose?
Quoi? Vous plaisantez? Vous me parlez de Guimard et Hinault? Ces gars là sont aussi noirs que le charbon et ils jouent les colombes maintenant… J’ai envie de rire mais je n’y arrive pas du tout là. Cyrille Guimard croquait dans la pomme à l’époque. Demandez lui comment va son genou maintenant. J’ai du respect pour le champion mais Bernard joue les moralistes effarouchés, il a oublié ce critérium de Callac, je pense, par exemple.
Bernard Hinault provoque un mouvement de grève
Que s’est il passé sur ce critérium?
En 1982, un contrôle anti dopage avait lieu sur le crit. Et là, comme par hasard, Bernard provoque un mouvement de grève contre l’instauration des contrôles anti dopages sur le critérium de Callac. Il a la mémoire courte quand je l’entends parler maintenant. Je m’en émeut que l’on puisse faire grève lors d’un contrôle et que l’on cloue au pilori un coureur 26 ans plus tard. Je m’inquiète pour la mémoire de Bernard. Je ne vois qu’une possibilité pour expliquer leurs attitudes des 2 homme, qui se détestent pourtant, aient des propos pareils. Ils sont peut être mandatés pas ASO, j’en arrive à penser ça. Ou alors ces gars là ont sûrement besoin d’attirer les lumières sur eux, ils ne peuvent pas vivre sans.
On vous sent vraiment en colère et inquiet
Oui bien sûr quand je vois comment mon pays se comporte vis à vis des coureurs étrangers. Je suis en colère de la façon de faire faire gagner, coûte que coûte, un Français même par des moyens machiavélique. Chris Froome est un être humain comme nous autre et le mec doit encaisser cette campagne de presse Française, il faut en avoir du caractère pour supporter ça, une trempe en acier. Il va venir sur le tour entouré de garde du corps à cause de menaces sur sa personne physique. Vous trouvez ça normal? Pensez vous qu’il viendrait face à un public hostile et haineux si il se savait coupable plus tard? Mais il faut être con pour croire ça.
Vous vivez aussi en Italie. Quelle différence entre le public Italien sur le Giro et cela du Tour de France?
En Italie, ils sont connaisseurs du cyclisme, ils ont la passion du sport, des histoires et de champions. Ils sont très respectueux des athlètes. Jamais Froome et Yates n’ont fait l’objet de critiques injurieuses de la part de la presse et de la télé. Ils ont salué les exploits des hommes comme eux ou Pinot. Le Giro est magnifique, il devient de plus en plus réputé et de plus en plus de leaders y viennent pour le gagner. Au rythme où vont les choses, le Giro sera plus important, plus beau, que le Tour de France aux yeux des équipes étrangères. Heureusement que le tour se déroule en juillet, ça le sauve. C’est dommage de penser ça de ma part car le Tour était beau, majestueux à une époque… Le Tour est une fête, une communion entre tous et il doit le rester.
En tant que coureur, quels sont vos meilleurs souvenirs?
Bien sûr ma victoire sur le Tour de France. Tout coureur rêve de claquer une étape du Tour, c’est notre « Graal ». Mais celui le plus beau vient d’Eddy (Merckx), mon ami et ancien leader. Sur le tour cette année là, on franchissait le Tourmalet en début d’étape. Patrick Sercu et moi sommes largués mais quand je vous dis largué, on était à plus de 12 minutes du peloton. Bref, on roule en se relayant façon Trophée Barrachi et on grignote des minutes au fur et à mesure. 9 minutes, puis 6 et 4 jusqu’à ce que l’on voit au loin derrière le peloton, 5 maillots Bleus de notre team de Fiat France, bleu comme l’espoir. C’était Eddy lui même qui avait demander à l’équipe de nous attendre. C’était dingue de savoir que le team, sur ordre d’Eddy, nous attendait pour nous faire revenir sur le peloton. Eddy est un seigneur et quand je pense à ce jour là, j’en ai encore la chaire de poule, oui un jour marqué au fer rouge dans ma boite crânienne.
Vous avez été coéquipier des plus grands. Quel leader vous a le plus impressionné?
Chacun était différent mais grand. Luis Ocana était magnifique. Un champion extraverti mais qui savait être le plus beau, le meilleur, c’était un guerrier. Bernard Thévenet était un grand, généreux dans l’effort et proche de ses équipiers. Le seul truc que l’on peut lui reprocher, c’est d’être trop gentil et ne pas avoir taper sur la table quand il le fallait. Quand à Eddy, c’est un seigneur, un mythe, une légende. Il est introverti mais il savait montrer qu’il t’aimait.