[dropcap]A[/dropcap]ujourd’hui, Steve Chainel a remporté le championnat de France de cyclo-cross à Quelneuc. Cette victoire, bien plus qu’un titre de champion national, est le symbole d’un espoir de renaissance de notre cyclo-cross. Non pas que la victoire du champion Clément Venturini nous aurait déçu mais celle de Steve Chainel est si particulière, poussée par une folle abnégation. Elle est celle du combat d’un homme pour faire vivre notre cyclo-cross, d’une révolte contre un système. Quand le champion est passé à notre hauteur sur cette ligne d’arrivée, nous avons cru sentir ce vent de rébellion dans le pays des bonnets rouges!
Car cet art de vivre n’est plus l’apanage des grandes écuries pros routières tricolores, elles le snobent depuis de nombreuses années. Elles méprisent en même temps son public en renvoyant dans leurs foyers ses grands champions. Le divorce est consommée depuis belle lurette…Pourtant certains irréductibles comme Chainel, Mourey, Canal, Jeannesson ou Boulo se battent comme des diables pour tenter de ranimer le cœur de cette discipline. Aujourd’hui, l’un de ces cinq mousquetaires a gagné, celui qui a créé son équipe composée de jeunes désirant un avenir. Aujourd’hui, c’est le peuple des crossmen qui est aux anges.
Le cross ne cesse d’attirer de plus en plus d’adeptes à travers certains pays. Des grands champions mondiaux si convoités comme Mathieu van der Poel, Wout van Aert ou le tout jeune Tom Pidcock mettent en priorité le cross dans leurs carrières. Les managers étrangers savent que c’est une école formatrice, une école de la vie et qu’ils en récupérerons les bénéfices de ce passage. Chez nous en France les managers se refusent à le voir et à l’admettre. Ils ne pensent surtout qu’aux grandes classiques et grands tours dont les guerriers étrangers justement en sont souvent les vainqueurs. Par cet élan venu d’ailleurs, les sponsors investissant dans le cross sont de plus en plus nombreux à travers l’Europe et le monde. Allez comprendre le cas contraire en France… « Il ne faut pas rêver, l’argent c’est le nerf de la guerre« , indiquait Steve Chainel lors de la conférence de presse.
Quand à nos sponsors tricolores, il leurs suffit pourtant de regarder juste cette foule qui s’y presse pour un France ou des manches de coupes de France. Oui, de partout, le public répond présent. De Lanarvily, en passant par La Mézière, Quelneuc ou sur Besançon l’année dernière, ce sont des milliers de fans qui débarquent sur ces « dirty races ». Et tout comme la route, ils ont leurs idoles, leurs guerriers, leurs fan-clubs de supporters et parfois on se croirait même en terres belges. Mais non, nous sommes bien en France et certaines courses pros sur route paieraient cher pour avoir ce même public.
La raison de cet amour mutuel est simple: la relation particulière entre les champions et le public, créant une ambiance si populaire que l’on se croirait revenu aux bon vieux temps de notre cyclisme sur route, si proche de son public, à ses valeurs. Dans le cross, on découvre une véritable famille qui ne cesse de grandir. Allez demander à un crossman ce qui est plus important à ses yeux. Ils vous répondra : « Le cyclo-cross ». Tout comme le répond Mathieu van der Poel, Wout van Aert ou Tom Pidcock, même si ces trois champions remportent de belles épreuves sur routes. Mais il faut bien bouffer et le cyclo-cross frenchie ne permet pas d’apporter assez de patates dans la gamelle de ces guerriers contrairement aux Belges, Néerlandais et maintenant Britanniques qui en vivent correctement. Et oui, le cyclo-cross devient de plus en plus populaire et là-bas, ils peuvent se permettre de s’en cogner, eux aussi, des patrons d’équipes sur route. Aller demander dans quelles équipes Van der Poel, Van Aert et Pidcock ont ils signé…
En France, on réalisera ce que l’on rate quand il sera encore trop tard (tradition bien française) ! Pourtant, à une époque, c’est bien la France qui était la terre du cyclo-cross, comme le disait le 1er champion du monde de la spécialité Jean Robic. Mais l’espoir apporté par le Team Canyon Chazal, le team Peltrax Braquet Libre des frère Jubeau ou dernièrement le team Charvieu Chavagneux de Fabien Canal nous fait espérer en cette renaissance.
Et surtout, le cyclo-cross reste l’une des rares disciplines où les bénévoles n’ont pas tous les cheveux gris. On en croise souvent qui sortent à peine de l’adolescence. De ces jeunes qui ont en eux cette arrogante flamme dans les yeux qui réchauffe l’âme de ce sport et en même temps notre gueule bien burinée par tant de désillusions. Ils seront encore là dans quelques années rassurez-vous! Ils le font savoir en twittant, partageant sur les divers réseaux sociaux cette passion et cela fonctionne au fil du temps. Les jeunes répondent présents et redonnent un bel espoir d’avenir, ils en veulent encore et encore. Dans la belle « famille » du cyclisme, tous ne peuvent pas en dire autant…
Enfin, le cyclo-cross amène un public, jeune et moins jeune, et tous se confondent par cette même passion. Ils apportent un souffle et, via internet, un visuel conséquent dorénavant, bien plus que certaines coupes de France sur routes parfois bien désertées par le public. Les sponsors reviennent et le public aussi. Oui partout en Europe sauf… en France et pourtant la demande est énorme…
La victoire de Steve Chainel, en larmes, est celle du cyclo-cross. Elle est celle de la première équipe de cyclo-cross UCI « made in France », de la volonté d’un homme qui n’accepte pas son agonie et, derrière lui, de toute cette jeunesse qui veut se faire entendre. Clément Venturini, tout autant passionné, est le seul coureur professionnel (au sein du team AG2R La mondiale) dans cette famille, Il vient de ce cyclisme pro sur route qui ne mise pas et ne croit plus à l’avenir de notre cyclo-cross pourtant si formateur. Il est le seul de ce milieu. Voilà pourquoi la victoire de Chainel est une belle victoire, une belle et saine révolte contre un système qui les oublient. Il a démontré que son cœur bat encore, qu’il y a encore un souffle et qu’il est en train de se réveiller.