[dropcap]A[/dropcap]ussi discret qu’indispensable au peloton, ces guerriers travaillent dans l’obscurité. Leur but: avaler les bornes, coéquipiers nichés dans leur roue arrière. Une tâche herculéenne, avec cet optique de faire briller son leader. Ceux que l’on nomme capitaines de route, ne réfléchissent pas de façon individuelle. Considérée comme les portes-paroles de leur team, cette trempe agit constamment pour le bien du collectif. Rouler à l’avant, lire la course, diriger les troupes et prendre des décisions. Leur rôle peut paraître aujourd’hui, avec le recours aux oreillettes et l’influence grandissante des directeurs sportifs sur les courses, totalement insignifiant. Mais les dirigeants d’équipes n’ont pas un regard omniscient. Polyglotte, observateur et véloce, l’équipier doit être doté de qualités aussi nombreuses que distinctes. On immortalise souvent l’ultime effort d’une course. L’instant où le vainqueur lève les bras et exulte, en oubliant le dur labeur effectué en amont. Ce travail de l’ombre, loin des projecteurs, est pourtant essentiel.
Benoît fait partie de ces « grégarios », mais également des coureurs les plus expérimentés du peloton. À son actif ? 11 participations à l’Étoile de Bessèges, 8 Paris-Camembert, 10 départs de Grands Tours dont 6 Tours de France, 29 participations à des classiques ardennaises (11 Liège-Bastogne-Liège/ 10 Flèche Walonne/8 Amstel Gold Race), rien que ça. Cela fait 15 ans que le Breton, natif de Vannes, traîne son mètre quatre-vingt-cinq dans le peloton professionnel. Entre succès et doute, sa carrière de coureur cycliste professionnel ne s’est jamais résumé à un long fleuve tranquille. La gloire, il l’a connu dès ses premières années. Sa maturité hors-pair et ses talents de rouleur lui octroieront un titre national sur contre-la-montre, en 2007. Benoît n’a alors que 25 ans. Une victoire d’étape sur le Tour du Limousin, sur les 4 jours de Dunkerque ou encore sur le GP D’Isbergues viendront s’ajouter à ce palmarès. Il parcourt son petit bout de chemin. De façon discrète. Sans embûches. Jusqu’en 2011, où une mononucléose le clouera au lit, au cours de ce qu’il qualifiera comme « ses plus belles années ». S’enchaîneront alors routine, doute et colère.
On reconnaît les grands coureurs selon leur faculté à se relever. Nouvelles méthodes d’entraînements, nouveaux objectifs: son enthousiasme ne disparaîtra jamais. Un mélange entre passion et détermination, recette du secret de la longévité. Aujourd’hui plus que jamais, Benoît remplit la fonction d’équipier-modèle, et assume pleinement ce rôle. Toujours avec cette volonté de faire don de son expérience aux jeunes générations. Un regard d’aigle sur le cyclisme actuel, un soupçon de nostalgie: Entretien avec un homme muni d’un cœur aussi grand que vaillant.
Crédit photo: Nicolas Götz/Équipe Cycliste FDJ | Par Camille Le Saux
Be Celt: Benoît, comment se sent-on lorsqu’on aborde une 15ème année dans le peloton professionnel ?
B.V: « Tant que l’envie et les jambes sont là, la motivation est présente. Si le physique suit, même après 15 ans de carrière, on a toujours envie de s’entraîner et de faire des concessions. Ce qui fait la différence aujourd’hui c’est l’expérience. Même si je ne suis plus au top physiquement, je m’en sort grâce au métier. Et la passion est toujours là. »
Apportez-vous, au fil des années, des changements dans votre préparation ?
B.V: « Il faut évoluer avec son temps. Maintenant au mois de février, toutes les équipes sont prêtes. Les coureurs lâchés au mois de février, ce sont les blessés et les malades. C’est la grande différence de ces dix dernières années. Tout le monde est affuté et veut gagner sa place dans l’équipe. Aujourd’hui j’étais sur le Tour de Valence (ndlr: 4 février | Segorbe – Lucena del Cid), on devait grimper une bosse de 10km, en haut tout le monde était là. Il y a 10 ans il y aurait eu 30 coureurs en haut. Dorénavant il faut faire beaucoup de concessions l’hiver. Avant, si tu entamais la saison avec quelques kilos en trop, ce n’était pas dérangeant. La reprise en février faisait office de fin de préparation. Aujourd’hui, dès février, la compétition commence pour tout le monde. »
« L’équipe FDJ a évolué, c’est ce qui explique le fait que je reste ici depuis autant de temps. »
Et la reprise a été solide du côté de la FDJ..
B.V: « C’est important de gagner des courses en début de saison. Il y a deux ans, on a eu du mal à aller chercher la première victoire, ça crée des tensions. Aujourd’hui il y en a trois, on est déjà plus serein même si nos sérieux objectifs sont plus lointains. »
Après autant de temps sous le même maillot et sous la direction d’un même homme, la FDJ doit représenter plus qu’une équipe ?
B.V: « C’est un peu une famille. Ça fait 15 ans que je travaille avec Marc, et même si on a connu quelques différends, on s’est toujours expliqué et compris. L’équipe a évolué, c’est ce qui explique le fait que je reste depuis autant de temps ici. L’arrivée de Nacer Bouhanni, Arnaud Démare et Thibaut Pinot.. C’est un tout. Et puis on a beaucoup évolué en terme de structure, de matériel et de staff. Ces changements motivent et c’est vraiment intéressant. »
Quel est votre rôle maintenant au sein de la FDJ ? Un rôle d’équipier et d’éducateur ?
« J’apporte ma connaissance des courses à mes coéquipiers. Aujourd’hui, ils ont tout pour réussir au sein de l’équipe. En terme d’entraînement, de matériel.. Ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. Je vois les erreurs qu’ils font et lors des moments difficiles, je les rassure. Je suis passé par là, j’ai aussi connu ces périodes de doute. »
Aujourd’hui, qu’est ce que les Directeurs Sportifs attendent de vous ?
« Forcément ce n’est plus au niveau des résultats que je suis attendu. J’ai un rôle de capitaine de route. Je dois rester à l’avant le plus possible, surtout dans les moments difficiles: quand il pleut, quand il y a du vent.. Les DS ne voient pas la course de l’intérieur. Mon expérience me permet de rameuter les troupes, j’essaye de prendre des initiatives et de donner des directives qu’un DS ne peut pas forcément fournir. »
« Honnêtement je crains pour le futur de nos courses françaises. »
Vous faites partie des « anciens » de peloton professionnel, vous avez vu le cyclisme évoluer, quelle analyse portez-vous sur son état actuel ?
« L’équipe Sky a été à l’origine de ce progrès puis tout le monde a suivi. Aujourd’hui chaque équipe a son cuisinier et son diététicien personnel sur les courses. Au niveau des stages, tout le monde va au soleil, en Espagne le plus souvent. Auparavant, on allait à Renazé en Mayenne, chez Marc et Yvon Madiot. On avait pas tout ce qu’on a aujourd’hui. On roulait, on se faisait masser, et terminé. Maintenant on débriefe nos entraînements, on analyse les données des capteurs de puissances.. C’est devenu très professionnel. Je garde un très bon souvenir de Renazé, c’était vraiment très convivial. Aujourd’hui l’ambiance est différente. Chacun fait son truc. Il faut s’adapter. »
Vous avez remarqué un changement en terme de tactiques de course ?
« Le gros changement qu’il y a eu ces dernières années, c’est au niveau du renforcement des équipes. Les grosses écuries comme la Sky, BMC ou Quick-Step Floors ont un leader épaulé par sept-huit équipiers, qui eux pourraient être leaders en Pro-Continentale. Avant, à Liège-Bastogne-Liège, au pied de Saint-Nicolas, il y avait 20 mecs. Aujourd’hui il y en a 70. Les équipiers sont beaucoup plus forts qu’avant. Du coup, et c’est ce que reprochent les spectateurs, les grosses équipes cadenassent la course. La Sky vérrouille tout et ça manque de panache. C’est un tout, une question de budget, de leaders comme Froome.. Les organisateurs essayent de durcir les courses, mais ça ne change pas grand chose. »
Au vue du calendrier, doit-on craindre pour nos courses françaises ?
« Les gens n’ont plus aucun repère sur le calendrier World Tour, il y a trop de courses. À côté de ça, le Tour du Qatar a été annulé, le Tour de Californie aussi, le Tour de Turquie.. L’UCI c’est un peu border-line. Il n’y a aucune visibilté, les gens sont perdus. Les conséquences de cela, c’est qu’on perd nos courses françaises. Chôlet-Pays de Loire, le Critérium International.. Honnêtement je crains pour le futur de nos courses.«
Peter Sagan donne un second souffle au cyclisme, quel est le ressentiment au sein du peloton professionnel à son sujet ?
« Sagan fait vraiment du bien au vélo. Ce côté fun apporte énormément à la discipline. Il attire les partenaires, les sponsors, de la jeunesse au bord des routes quand le vélo avait ce côté vieillissant. On ne pouvait pas avoir meilleur champion du Monde. Le cyclisme en avait besoin. »
À quelle fin de carrière aspirez-vous ?
« C’est sûr que je suis plus proche de la fin que du début (rires). Je suis en fin de contrat cette année. Tant que je serais compétitif, et que la motivation sera là, je continuerai. Mais quand il sera temps d’arrêter car je ne prendrais plus de plaisir en course et que le physique ne suivra plus, j’arrêterai. Dans une saison, il peut se passer beaucoup de choses. »
Comment voyez-vous l’après-vélo ?
« Rester dans le sport pourquoi pas. Même si c’est flou car je suis encore sous contrat pro, j’ai quelques projets en ambition. Je me prépare à la fin. L’étape la plus difficile va être au moment d’accepter d’arrêter. Il faut s’y faire. J’ai pu discuter avec des anciens coureurs. Au moment d’arrêter, c’est difficile de voir les autres reprendre leur saison en janvier. Mais il faudra l’accepter. »
Crédits photos: Nicolas Götz/Équipe cycliste FDJ – Elise Chauveau – Cassandra Donne – Morgane Bezannier.