À 54 ans au compteur, l’Irlandais Paul Kimmage en a connu des histoires tout le long cette « fecking » rivière qu’est la vie. Lui, le fils de Christy, avait débuté tout gamin le cyclisme au Tara Road CC , apprit le job de coursier à l’ACBB puis au CC Wasquehal en France, avant de devenir pro au sein de RMO et Fagor. Quatre ans dans le monde pro, il avait enfin atteint ces rêves de gosse, il était dans le grand bain après tant de sacrifices et de souffrances. Le Tour de France, Bordeaux-Paris, de ces plus belles batailles rêvées lors de l’adolescence, sur ces routes d’entrainement de la verte Erin, il les avaient enfin connues et caressées avec passion.
Mais après ces années, lui, l’amoureux des mots et des phrases, s’en est allé vers un autre monde. Celui qu’il avait connu en lisant les colonnes du journal « L’Équipe » chaque matin. Attention, on vous parle de l’ancienne version de ce journal, devenu l’emblème du sport tricolore, celui écrit au temps d’Albert Bouvet, de Jean Michel Rouet ou de Guy Roger. Durant ces temps où le Tour était forgé par un certain Félix Lévitan. Durant ces temps où le Tour écrivait des histoires héroïques, même sur les étapes de plaine, sur l’aventure de ces forçats de la route.
Durant une nuit estivale de l’année 1989, Paul Kimmage est parti rejoindre ces hommes témoins, ces écrivains passionnés de notre sport. Il a en bouffé des pissenlits par la racine à ses débuts, mais il s’en fichait. Il était devenu ce témoin écrivant lui aussi l’histoire. Il sort même un livre qui va faire lui valoir quelques ennuis mais il voulait en parler. Non pas pour faire l’un de ces putains de « Buzz » mais pour témoigner, apporter des solutions, exorciser cette déception tant il aime toujours ce sport. Et surtout pour dire aux « kids » qui rêvent au fond de leurs plumards, le bike au pied du lit, que la vie n’est pas juste une ligne droite bordée par des roses et des gens qui ne vous veulent que du bien. « Rough Ride » sort en 1990 et rentre dans le lard du « sacro-saint temple » UCI et pros. Malgré le tsunami de critiques, l’Irlandais restera debout sur sa barque en gardant le cap droit sur la recherche de la vérité, avec ce désir si fort d’arrêter de prendre ce sport et ses passionnés pour des cons.
Un mois de juillet 1999, seuls Paul Kimmage, David Wash, Pierre Ballester et d’autres irréductibles n’y croient pas. Ils le publient même dans les colonnes de leurs journaux. Le « Messie » du sport business, le miraculé Lance Armstrong, fait agenouiller des millions d’adeptes devant ses exploits venus de la planète Mars. Dès lors, on les conspuent, les dénigrent, les livrant au lynchage médiatique mondial mais ils réussiront à faire tomber ce « Goliath made in Dollars », eux les petits « David ».
Paul Kimmage a reçu de nombreux prix pour « Rough Ride » dont le William Hill Sports Book of the Year (Livre irlandais de sport de l’année). Il fut même désigné en 2012 comme l’un des dix journalistes sportifs les plus influents au Pays de sa majesté. En juillet 2014, « Rough Ride » sort en version film documentaire et traite du cancer du cyclisme qu’est Lance Armstrong. Le cyclisme est il en rémission depuis ? Seize ans après sa première parution écrite, le cyclisme exorcise toujours ses démons. Paul Kimmage collabore pour la radio Newstalk 106 Sunday Sports.
Paul Kimmage, avant d’être journaliste, vous avez été coureur professionnel au sein de RMO et Fagor. Quel a été le souvenir le plus marquant de ces quatre années en tant que coureur ?
Paul Kimmage: « Il y en a plein. Sérieusement, je garde aussi des bons souvenirs de cette époque. Mais le plus marquant restera la Tour Eiffel (rires)! J’avais disputé mon premier Tour de France en 1986, j’avais 24 ans. Sur la dernière étape, quand tu vois la tour Eiffel au loin puis que tu roules sur les champs Elysées, c’est énorme. Je n’étais pas un très bon coureur mais cette arrivée à Paris avec la Tour Eiffel en image de fond, ça reste inoubliable. On en avait bavé, j’avais très mal après tant de souffrances durant ces étapes à la Lévitan. La der, quand tu arrives à Paris, c’est magique. On avait bouclé le tour, je l’avais enfin fait. Je me souviens de mon coéquipier Bernard Vallet, on pleurait et il m’a dit cette phrase: « Paulo, tu sais ce qu’est le Tour de France maintenant, tu l’as fini! » C’était un moment très fort que je n’oublierais jamais . »
« Bernard Vallet en pleurs me prenant dans mes bras devant la Tour Eiffel, mon meilleur souvenir en tant que coureur ! »
Ensuite, une carrière de journaliste…
Paul Kimmage: « En 1989 j’écrivais une chronique sur ma vie de coureur durant la saison et le Tour de France, mon dernier par ailleurs. Un peu comme pas mal de gars maintenant, je décrivais sur le journal « Sunday Tribune » le quotidien du coureur. Cette année là, je savais que j’allais arrêter le cyclisme pro après ces années. J’étais fatigué et je voulais passer à autre chose. J’avais joué le rôle de « Gregario » et j’avais été plus ou moins heureux, j’avais fait le tour de la question. C’est alors que l’on m’ a proposé d’écrire pour le « Sunday Tribune. Je me souviens très bien, on était en vacances avec ma femme. On en a beaucoup parlé et à la fin de ce break, j’ai décidé de me lancer dans cette nouvelle vie. Je ne regrette rien de ma vie et si c’était à refaire, je ne changerais rien. En 1990, mon livre témoignage « Rough Ride » était édité pour le grand public. »
Un nouveau défi, plus difficile ?
Paul Kimmage: « Oui, un nouveau départ. Je lisais énormément le journal Français « l’Équipe » à cette époque. Chaque jour, je parcourais les articles d’Albert Bouvet, Guy Roger, Jean Michel Rouet ou Pierre Ballester. Ces gars là, c’était des vrais journalistes, les meilleurs. Mais depuis les choses ont bien peut-être bien changé (rires). Je n’ai pas fait de hautes études en journalisme, je n’ai pas non plus été à l’université mais je savais déjà écrire. J’ai appris le job avec les articles de ces monstres sacrés, ils m’ont donné l’envie de devenir journaliste. En 1990, j’avais 26 ans, j’ai commencé comme consultant, pigiste. J’en ai bavé avant de me faire une petite place. Il m’a fallut six ans pour commencer à en vivre réellement. C’était très difficile, comme tous les métiers du monde et j’ai serré les dents. C’est en 1996 que je suis devenu réellement journaliste. »
« J’ai aimé et appris le métier de journaliste par des gars comme Bouvet, Rouet, Roger ou Ballester »
Coureur devenu journaliste au « Sunday Times » , au « Sunday Independant » et « Radio Newstalk 106 Sunday Sports »..
Paul Kimmage: « Il faut aller au bout de ses rêves non ? Je connaissais bien le milieu de ce sport, j’y avais été coureur amateur et pro, j’ai été ce jeune rêveur aussi, j’ai touché aussi au fruit défendu comme le doping. Ensuite, l’amour des mots, des histoires, du journalisme a fait le reste. Je sais exactement ce que vit un coureur et les pressions qu’il peut subir, ses doutes et ses joies. »
Maintenant, vous êtes devenu un journaliste reconnu..
Paul Kimmage: « Reconnu, je ne sais pas, et je m’en fiche un peu à vrai dire. J’écris et c’est mon principal plaisir. D’être populaire ou pas, ce n’est pas mon objectif. Ce que je cherche, c’est la vérité, point barre! Il faut arrêter de nous prendre pour des cons. J’écris, ça plaît ou pas, je continue à chercher la vérité. Je ne suis pas vraiment un journaliste d’investigation même si parfois on n’y est obligé pour aller chercher la véritable histoire comme avec l’affaire Lance Armstrong. »
Justement, dur combat contre Lance Armstrong. Vous êtes vous senti seul durant ces années?
Paul Kimmage: « Non, je n’étais pas seul. Il y avait David Walsh et Pierre Ballester aussi qui menaient le même combat. On était loin d’être populaire à cette époque je peux vous l’assurer. Pour ce qui est du cas Lance Armstrong, c’était vraiment dur tant il été protégé et tant il avait des relations dans tous les domaines de la société. Déjà sur le premier Tour de France gagné par Lance, j’ai tout de suite pensé que ce n’était pas normal. Le mec sortait juste d’une rémission de cancer et il remporte haut la main l’épreuve la plus dure au monde. C’était carrément louche non ? Dès le départ, je savais que c’était une grande mascarade. Mais avec « Lance Armstrong Foundation » devenu « Livestrong Foundation », il était devenu une « icône ». Tout le monde l’appréciait et portait le bracelet jaune. On ne pouvait pas le toucher et encore moins douter du bonhomme, on n’avait pas le droit. Il avait des pouvoirs extraordinaires à tous les niveaux. Il était le sauveur de l’humanité contre le cancer et tout ça c’était du business, il était le martyr revenu en sauveur. Il a sévi sur sept tours de France et il a commis des dégâts considérables à notre sport. Au début, nous n’étions qu’une minorité comme David Walsh et Pierre Ballester. Nous n’étions pas vraiment apprécié (rires). Mais comme je te l’ai dit avant, je cherche la vérité et je ne lâche pas l’affaire comme, ça quitte à être impopulaire. »
On se souvient de l’altercation sur le Tour de Californie en 2009..
Paul Kimmage: « Oui, je m’en souviens. Je lui ai posé la question à propos du doping et quand il a su mon identité, il est rentré dans une colère folle. Ça a été assez violent. Je ne l’oublierai jamais, comme dernièrement quand il m’a proposé de l’interviewer. »
Justement, Lance Armstrong vous propose de l’interviewer suite à son refus de venir sur « One Zero Conference » à Dublin, mais vous refusez. Pourquoi ?
Paul Kimmage: « Il m’a envoyé un message par Twitter, mais je ne voulais pas le faire comme ça. Je lui ai répondu que je ne suis pas une poupée qu’il fait danser quand bon lui semble. Je suis journaliste pas un clown. Sur le plateau de Ray D’Arcy Show je lui ai répondu que je voulais bien faire cette interview, mais pas comme ça. Je lui ai proposé mon désir, que lui et moi, face à face, d’homme à homme, personne d’autre. On parle entre nous une bonne fois pour toute. J’attends toujours qu’il me réponde du coup. »
« Ce que je recherche, c’est la vérité »
Le team SKY et les fameuses AUT, qu’en pensez-vous ?
Paul Kimmage: « J’ai des réserves bien sûr. Mais j’attends le 19 décembre quand Dave Brailsford passera devant la commission de l’Agence mondiale antidopage présidé par Sir Craig Reedie. Je ne serai pas loin et je poserai mes questions. Vous savez, on nettoie le cyclisme, mais c’est un problème universel, tous les sports sont touchés par cette saloperie, le rugby, la natation… Et on se doit de réagir à tous les niveaux, même si cela nous parait impossible. Il nous faut sans cesse chercher la vérité. Le doping était là avant Lance Armstrong, je l’ai connu en tant que coureur. Il y était encore même après son départ et sera toujours là. »
Que pensez-vous du cyclisme actuel ?
Paul Kimmage: « Pfff…… Je ne sais pas. J’en sais rien à vrai dire. Cela fait 26 ans que je travaille dans le journalisme. Je pense que le cyclisme des années 80-90 était peut être plus sain que maintenant, que l’on était plus heureux. J’y ai cru à ce changement mais je suis fatigué maintenant. Ce qui me fait peur dans le cyclisme pro actuel, c’est l’état de maigreur des coureurs. Je ne sais pas comment ils s’alimentent pour en arriver à ce stade. Il faut vraiment y faire attention avant que cela dégénère. Quand tu les regardes, squelettiques, ils n’ont vraiment pas l’air heureux de faire ce job, tu sens cette pression. Ça fait 26 ans que je dénonce les choses, mais j’ai l’impression de pisser dans un violon. «
Pensez-vous que le Tour de France sera toujours aussi populaire à l’avenir ?
Paul Kimmage: « Je serais ravi que oui. Mais tout a changé là aussi. J’aimais vraiment bien Christian Prud’homme quand il a prit les commandes . Il nous laissait espérer au changement comme avec sa décision d’exclure Vinokourov en 2007. Mais quand il a autorisé le retour de Lance Armstrong en 2009, là j’ai su que Prud’homme avait changé, il donnait dès lors la priorité au business plutôt qu’au sport. Il n’est plus le même qu’au début. Si on continue dans ce sens, on fonce droit dans le mur. »
« Contrairement à McQuaid ou Cookson, Marc Madiot aime le vélo, c’est un vrai passionné… »
L’UCI changent les choses, vous y croyez encore après toutes ces déceptions?
Paul Kimmage: « Pareil, je ne sais plus quoi penser. Après le départ de McQuaid, j’ai eu la foi pour Brian Cookson. J’avais cet espoir réel que les choses allaient changer. Mais au final, tu assistes à un mondial à Dubaï où tout le monde se contre fout du cyclisme et dont le seul public, ce sont les flics qui font la sécurité. Tout ça au nom du fric et du business. Ces gars là qui deviennent président de l’UCI ne pensent qu’au pouvoir, rien d’autre. Il n’y a que ça le politique et le pouvoir, qui les intéresse. Le cyclisme n’est qu’un moyen d’atteindre les sommets pour eux.
Mais quand tu lis les commentaires d’un mec comme Marc Madiot, tu reprends espoir. On n’aime, on n’aime pas, on est d’accord ou pas avec Marc Madiot mais ce gars-là parle avec le cœur, les tripes, c’est un vrai passionné. Il aime sincèrement le cyclisme contrairement à ces gens aux commandes de l’UCI. Peut être que le prochain président sera différent des derniers mais je suis fatigué d’y croire. »
Revenons à l’Irlande, que pensez vous de l’essor du cyclisme de la verte Erin?
Paul Kimmage: « Le plus important à mes yeux, c’est le bonheur de ces jeunes champions. C’est bien qu’ils soient encadrés en France ou ailleurs mais il faut qu’ils soient heureux en priorité. Il nous faut aussi penser à l’humain. L’encadrer en tant que coureur et l’aider quand il arrête ce sport, ne pas le laisser tomber. Le cyclisme est un sport qui exige d’énormes sacrifices, et ils nous faut les aider au mieux pour atteindre leurs rêves et continuer à mener une vie après leur carrière professionnelle. Je suis content pour eux bien sûrs, mais il nous faut aussi être là après, et pas seulement quand ils ont des résultats, sinon il n’y en aura pas d’autres pour prendre la relève. »
Une équipe Pro Continental voit le jour en Irlande, qu’en pensez vous ?
Paul Kimmage: « Vous voulez parler d' »Aqua Blue » je suppose. Y a t-il beaucoup d’Irlandais au sein de l’équipe ? Je ne sais pas et je ne sais pas quoi penser d’eux. J’en sais rien à vrai dire. On ne sait pas vraiment ce que veux faire leur manager Rick Delaney. J’espère qu’ils ne vont pas la jouer comme SKY. Mais quand on lit ce qu’il pense des journalistes, qui selon lui « ne sont bons qu’à foutre la merde », on reste dubitatifs sur la communication du team et je pense que ce n’est pas un bon début pour une nouvelle équipe. Enfin, on va voir… »
Vous qui avez été coureur puis journaliste, quel message adresseriez-vous aux jeunes ?
Paul Kimmage: « Soyez heureux et faites en sorte de ne jamais le regretter, c’est le plus important. Pour ma part, je ne changerai pour rien au monde ma vie. Je voudrais le même sort pour eux. Dernièrement, j’ai appris que deux amis qui étaient de grands champions, ont réussit leurs conversions aussi. Joel Pelier qui en a claqué de belles comme sur le Tour de France, est devenu un artiste sculpteur doué. Puis Bruno Cornillet, le champion Breton est devenu pilote de ligne. Ce sont des belles reconversions non ? On leur tire le chapeau car ils ont été au bout de leurs rêves. Je souhaite ça à tous les jeunes qui se lancent dans ce sport, d’être heureux pendant et après leurs carrières de coursiers. Dernièrement, un ami Français avec qui j’ai l’habitude de courir me disait: « Il n’y a absolument rien de mal avec le sport cycliste, qu’un peu de vérité et d’honnêteté puissent régler « . Je suis d’accord avec ça, il y a encore un peu d’espoir. »
Par Camille Le Saux et J.A.V.