« C’est de la saloperie cette course, tu travailles comme un animal, tu n’as même pas le temps de pisser, ton cuissard est trempé, tu roules dans cette boue qui te recouvre, tu chutes, tu glisses, tu n’es qu’un simple morceau de merde ». Voilà comment Theo de Rooij résuma Parix Roubaix à un journaliste de CBS, John Tesh, en 1985. Quand John Tesh lui demanda « Mais tu y reviendras? » Théo répliqua sans hésiter; « Bien sûr, c’est la plus belle course du Monde ».
En 1985, Théo de Rooij était devant une bonne partie de la journée, affrontant la pluie, la boue, les pavés. Mais ce « putain » de coup de bambou frappé par la sorcière verte avait eu raison du Batave et de Francesco Moser et il dût abandonner ce rêve de remporter l’Enfer du Nord à une petite trentaine de km. Les larmes coulaient le long de ses joues en laissant une cicatrice éphémère sur la boue séchée alors qu’il s’engouffrait dans une voiture. Paris Roubaix n’est pas une course comme les autres, c’est « l’enfer du Nord »!
Car depuis 1896, la plus vicieuse, la plus cruelle des Classiques a plus fois changé de robe, mais la souffrance des coureurs et les pavés sont restés les mêmes quand à eux. Dès le début, tu sens cette peur palpable avec ce mélange de détermination à travers les yeux de ceux qui vont prendre ce « putain » de départ. A 2 min de l’entrée dans l’arène sous la clameur de cette immense foule, il n’y pas plus d’équipe, plus personne qui ne peuvent les aider. Ils sont seuls face à ce rendez vous, face à cette légende du cyclisme, face à leurs rêves où il faut passer cette porte du diable en forme de vélodrome pour oublier tout ce qu’ils vont endurer. Dans quelques minutes, ils auront du mal à maîtriser leurs montures, leurs corps tremblant sous le choc de ces maudits pavés arrosés de boue ou de poussière si ils ont de la chance, lancés à plus de 50 km/h! Ils vont serrer les fesses, les dents, pleurer, voire paniquer pour certains, souffrir jusqu’à l’épuisement, chuter, se relever, ils vont se lancer comme des forçats sur cette « Road To Hell » mais ils ne laisseront jamais un autre prendre leurs places, oh ça non! Car ils veulent la finir cette maudite, devenir des héros sur cette épique bataille, passer par cette souffrance pour atteindre le bonheur et parfois même l’extase inoubliable. Masochiste me direz vous? Non, simplement des guerriers qui veulent savoir jusqu’où ils peuvent subir cette épreuve de la vie. Puis ensuite, simplement prendre une douche amplement mérité et pas dans n’importe lesquelles: celles du vélodrome dont chacune est ornée d’une plaque gravée du nom de chaque vainqueur !On a voulut en savoir un peu plus sur cet « Enfer du Nord », sur ce que vivait un guerrier, pas un vainqueur forcément mais sur l’un qui a été des plus beaux acteurs de par sa rage et son envie de bouffer du pavé. Le héros malheureux de 1985 justement, celui qui avait sorti cette phrase devenue mythique dans de nombreux médias étrangers, ces mots qui ont décrit ce qu’est Paris Roubaix; Théo De Rooij, un guerrier des classiques avec plusieurs podiums sur la Flèche Brabançonne, Champion des Flandres, souvent placé dans l’Amstel Gold Race, mais sa plus belle de coeur reste Paris Roubaix.
Racontez nous Paris-Roubaix?
.
Théo De Rooij; « La course cycliste la plus exceptionnelle au monde. Presque chaque cycliste professionnel qui a couru Paris-Roubaix a une relation amour-haine avec cette course. Il suffit de leurs demander à tous. Nous on pense qu’elle est la plus belle course de la saison, l’autre croit qu’elle est la plus grande merde… Dans l’ensemble, une épreuve terrible pour l’homme et la matière. Je peux très bien imaginer pourquoi beaucoup de collègues ont décidé de ne jamais y participer. Pendant longtemps, je faisais parti de ceux qui ne faisaient pas Paris-Roubaix. Jusqu’en 1985, même si je faisais parti du groupe de ceux qui haïssaient absolument cette course, mais je reçois un appel de Peter Post mon manager qui me dit que je devais la faire point barre. Je me suis marré quand il m’a donné cet ordre. Mais il était sérieux lui, j’avais juste le droit d’abandonner à partir de mi course, je devais rouler pour mon leader. C’était ça ma première rencontre avec Paris Roubaix…. Ma tâche était de coller à notre capitaine Phil Anderson dès les premiers km.
Régulièrement le peloton s’étirait comme un long ruban. Mes instructions étaient plus importantes pour moi que ma position au sein de celui ci, je devais garder Phil Anderson hors du vent tout le temps. Après seulement quinze kilomètres Anderson et moi avions glissé un peu à l’arrière. Le peloton a roulé tranquille pendant un certain temps puis il y a une chute et je suis monté à l’avant avec Anderson dans ma roue. Exactement à ce moment-là, il y avait de nouvelles attaques. Anderson m’a poussé fermement pour me faire savoir que je devais y aller aussi aussi. Tout d’un coup, je suis dans une échappée de seize coureurs. Sur les routes larges et lisses, nous eûmes bientôt une avance de quelques minutes. Je ne prenais pas la tête. Je me demandais surtout ce que je pouvais faire dans ce groupe de tête, tout seul de mon équipe. Post m’avait clairement indiqué que je devais rester près d’Anderson. Au lieu de cela, je suis là et on allait atteindre le premier secteur pavé avec une avance de quelques minutes. Je fus saisis de terreur quand je compris que je devais rouler sur ces pierres, sales, humides et glissantes. En plus régulièrement une averse nous tombait dessus. Avec une tête remplie de doutes zlors que je m’approchais des premiers pavés de Troisvilles, je décidais alors de donner le meilleur, j’y étais, fallait que je fasse un truc et me voilà à l’assaut des 25 secteurs pavées. Les pierres étaient cachées par l’eau et la boue.
Il y avait tout ses spectateurs follement enthousiastes, qui criaient et gesticulaient. Certains d’entre eux voulez nous toucher. C’était comme dans une arène romaine. Nous, on évitait de tomber, glisser, cherchant désespérément l’adhérence des pneus et des mains. A ce moment, un sentiment euphorique a pris possession de moi, il semblait que mes rivaux avaient plus de mal que moi. Quelques secteurs pavés plus loin, il s’avéra que j’étais le meilleur coureur du groupe à ce moment-là. Et le nombre de coureurs restants était de plus petit. Cela m’a donné une motivation supplémentaire pour continuer. Presque en sifflant, je suis monté avec la tête du groupe amaigri à Solesmes. Je ne pense pas à l’abandon. Je me sentais comme une star de premier plan dans un film. Un paysage agricole en alternance avec des installations minières rouillées mis au rebut et tout ce mélange de sentiment dans ma tête à ce momet là comme dans une transe. Je ne sentais pas les pierres, les trous, le froid ou la pluie. Il semblait que mon vélo flottait quelques pouces au-dessus des pierres. L’adrénaline dans mon corps m’a fait sentir invulnérable et – en même temps – m’a donné le sentiment que je suis dans le contrôle total de mon environnement. De plus en plus de coureurs ont disparu du groupe de tête. Quelques kilomètres plus tard Yvon Madiot et Toon Manders m’ont rejoint. Tous les 3 on a peiné contre le vent durant une vingtaine de kilomètres. Nous savions que Francesco Moser se rapprochait de nous, tout seul. Après environ 170 kilomètres, il nous a rejoint, j’ai pris sa roue. Moser roulait comme un fou sur les pavés. Manders et Madiot ne pouvait pas suivre et j’étais là, leader dans un Paris-Roubaix avec un ancien vainqueur et spécialiste absolu du pavé. Sur ceux là, j’ai remarqué que Moser avait plus de difficulté à se maintenir debout que moi. Après 200 kilomètres, les chasseurs étaient à plusieurs minutes derrière. Je me suis accroché à la roue arrière de Moser. Je me demandais jusqu’où je pouvais aller. A ce moment j’avais roulé en tête pendant plus de 180 kilomètres. Malheureusement, les jambes du vieux guerrier italien commençaient à se décomposer. Aussitôt les chasseurs sont revenus sur nous rapidement. A 220 kilomètres mon coéquipier de Panasonic, le champion belge Eric Vanderaerden est passé comme un flash. Un moment je me sentais supérieur et la il me semblait que mon moral et ma force m’abandonnait complètement. L’un après l’autre, les coureurs montaient devant moi…. Après 230 kilomètres, la fête était finie définitivement. Peut-être que je pouvais terminer en trentième place,mais j’avais le moral en berne, dégouté. Tout d’un coup, je vis un couple de fans familiers de Zeeland sur le côté de la route: la famille Bakker de Terneuzen. Je suis descendu de mon vélo et demandé aux Bakkers si je pouvais lmonter avec eux jusqu’à Roubaix si proche. Juste au moment où je voulais monter dans la voiture, deux motos de la télévision CBS se sont arrêtés et c’est là que je leurs ai dit cette phrase.
Bref, cette course c’est tout ça comme souvenirs. Et aussi des sensations comme le « Cliquetis » des os, cette vibration du corps, ce vélo qui claque sur chaque pavé, ces tremblements de terre sur chaque partie de votre corps, tout vos organes en sont atteints.Et ça, c’est juste le premier secteur pavé…
Je me rappelle ma première fois sur le Carrefour de l’arbre… Certains passages moins aptes à mériter la description d’une route. Les pavés qui semblent presque se fondre dans le champ..
Comment pouvez vous décrire Paris-Roubaix à ceux qui vont la connaître pour la première fois?
.
T.D.R. » Je ne sais pas, j’ai toujours eu des sentiments mitigés au sujet de Roubaix, la commutation entre les sentiments d’admiration et de dégoût. Mais ce jour-là cependant,quand je l’ai couru, j’ai compris la magie. Je l’ai senti. Ces morceaux de granit sous mes pieds, de tailles curieusement fixés en terre bon gré mal gré par des ouvriers apparemment ivres. Paris Roubaix-. Cette course est si spéciale, si difficile, en raison de chaque pavé qui sont plus ou moins les mêmes depuis 1896, la première édition de la course. Tout, sauf la souffrance des coureurs et les pavés eux-mêmes, a changé. Ces deux facteurs les plus importants sont restés constants.
Vous devez la voir, la sentir pour vraiment comprendre… Quand vous la quittez, la reine des classiques se distingue, éloignée, sur un piédestal solitaire comme le test le plus extrême de tous.
Paris-Roubaix existe en raison de sa sévérité, sa cruauté, à cause du spectacle qui entoure le carnage. Les pavés prennent un aspect différent quand vous tombez en tombé amoureux.
Ce jour du 14 Avril 1985, le Français Marc Madiot remportait, en solitaire, son premier Paris-Roubaix devant Bruno Wojtinek et Sean Kelly