Il a été l’un des plus grands guerriers du cyclisme de sa Majesté, l’un de ses meilleurs agents et l’un des maîtres du temps sur le chrono, vainqueur de grandes étapes épiques comme cette 6ème du Tour de France 1988, un contre-la-montre de 52km, ce même grand tour où il porta le maillot jaune en 1994, puis une étape sur la Vuelta, Paris Nice, Tour de Belgique, étape sur le Dauphiné Libéré. Sean Yates fait partie du « Hall of Fame » du cyclisme et pas seulement celui du British Cycling (Fédération Britannique), son nom est inscrit à jamais dans la mémoire du temple.
C’est le genre de gars légèrement rebelle et puncheur qui partait à la bagarre sans se poser de questions existentielles, le couteau entre les dents et la rage au ventre. Lui, le doute, il ne connaissait pas! Tel un James Aldey, il en a écumé des continents, traversé des océans pour emmener des Seigneurs vers leurs trônes comme le Roi d’Irlande Stephen Roche avec l’Armada Peugeot Esso Michelin et Fagor par la suite.
Cette envie et cette rage de vaincre, il l’a chopé très jeune. Sa rencontre avec la machine, il l’a fait dans une casse d’un quartier non loin de Londres appelé Ewell, dans ce milieu ouvrier dont les minots rêvaient de voyages et de duels, comme ceux entre Sid Barras, Alf Engers et Eddie Adkins dont les exploits étaient relatés dans ses bouquins de cyclisme que le jeune Sean dévorait . Quand un jour il vit le corps agonisant d’un vieux cadre, il le retapa et « step by step » il en fit sa première monture et participa à ces premières « bastons » entre kids du quartier. Déjà, il faisait bouffer la poussière à ses rivaux. Mais dans sa tête de gosse, lui, il pensait déjà au delà de la Manche ; voir ailleurs « comment ça se passe ! «
Devant la vitrine d’un »Bike Shop » appelé « Emperor Sport » (référence à « The emperor » Rick Van Looy), il fit la connaissance du proprio des lieus, un certain Tony Mills, qui fut lui même professionnel. Ni une ni deux, ce dernier donna sa confiance au minot, une amitié qui dure toujours aujourd’hui. Sean avait économisé cent par cent, ceux gagnés sur des duels de quartiers, et a pu s’offrir sa première vraie monture. Son père et son oncle le poussèrent aussi et épaulèrent le rejeton à vivre son rêve, avec eux, il avaient le meilleur matériel, les plus belles tenues. Mais à l’époque, il fallait émigrer dans le Royaume de France pour aller se faire un nom et connaître le grand frisson. Les jeunes cavaliers Anglo-saxons justement n’ont jamais hésité à franchir la barrière et quitter le confort du pays pour aller se frotter à ces « bloody Frenchies », avec ce côté « So rebel ! »
Désormais, on connaît la suite, il prit le large comme d’autres le firent, tels des Paul Sherwen, Robert Millar, John Herety ou les Irlandais Roche et Kelly pour aller vivre ses aventures, en tant que coureur puis directeur sportif des plus grands comme Sir Wiggins avec le team SKY en 2012 et Alberto Contador avec Tinkoff actuellement. Le Britannique est devenu l’un des précurseurs de l’essor du cyclisme anglais, vous savez celui qui faisait rire certains aristos arrogants de la petite reine à une époque et qui maintenant terrorise et attise l’envie les organisateurs des plus grandes batailles !
Sean Yates, comment êtes vous arrivé dans le monde du cyclisme?
Sean Yates: » Ouf ! A mon époque, on n’avait pas de télévision ni tous ces trucs de maintenant. Du coup, on vivait dehors dans la rue ou dans la forêt voisine à jouer avec les copains, c’était l’Angleterre des années 70, une autre époque! Un jour, je trouve un vieux vélo dans une casse du coin, je le retape plus ou moins et avec mes copains et mon frère Chris, on a commencé à se faire des courses entre nous. Les distances augmentaient jour après jour si bien qu’à un moment, on s’est dit que l’on aller pousser jusqu’à la mer, là d’où les bateaux partaient, il y avait 50 km à faire. Ce n’était pas des simples ballades, on se tirait réellement la « bourre » et on jouait nos cents que l’on avait dans nos poches. Je gagnais tout le temps et j’ai pu me constituer une belle cagnotte pour me payer mon premier vrai vélo chez Tony Mills. Ensuite, j’ai écrit à Val Baxendine pour qu’il me prenne dans son club d’ East Grinsteed Cycling. Ma première course je l’a fait avec une veste de survêtement dont le zip était cassé, un pantalon rentré dans mes chaussettes, qui étaient quant à elles dans des chaussures de foot (rires). En 1978, j’ai fait mon premier chrono, le « Ten Mile Time Trial » et je l’ai gagné avec un temps de 24 min. Puis plus tard dans l’année, je remportais le titre champion de Grande Bretagne junior et le chrono de 25 miles avec un temps de 55 min. J’avais enfin mon nom dans le magazine « Cycling » même si il n’était pas bien écrit (rires). »
La France, vous y arrivez en 1980 et vous vous faîtes remarquer sur le Grand Prix de France…
S.Y: » Oui, c’est un peu ça. C’est Tony Mills qui me pousse à y aller en France. Il finance mon voyage et tout le reste pour que je puisse me mesurer aux meilleurs de l’époque, je lui dois beaucoup, sans lui je ne serais pas être pas là. Je me souviens encore d’Albert Bouvet venant me chercher à l’aéroport pour mon premier séjour en France, un grand homme. J’arrive donc sur le GP des Nations en 1980 et je fais 6ème derrière le vainqueur Julian Gorospe, Roche et Simon. Puis sur le chrono du GP de France à Saint-Tropez, je fais deuxième derrière Roche, j’étais même leader à mi course,je m’en souviens très bien. Plus tard dans la soirée, Stephen vient me voir à l’hôtel et me demande si je ne serais pas intéressé pour venir dans son équipe de l’AC Boulogne Billancourt. Deux semaines plus tard je rejoins John Herety et Stephen Roche. C’est comme ça que je suis arrivé à Peugeot par la suite. »
Et une belle carrière débuta. Justement, quelle victoire vous marqué le plus?
S.Y; » Il n ‘y en a pas une en particulier, toutes les victoires m’ont marquées, elles sont toutes de bons souvenirs. C’est vrai que de remporter une étape sur le Tour de France en 1988 et porter le maillot jaune en 1994 vous marque énormément, mais toutes les victoires sont de beaux souvenirs. Je n’étais pas un grimpeur, je ne pouvais pas jouer le général de grands tours, mais je me battais dur sur les chronos ou les classiques. »
Le cyclisme, vous le pratiquez toujours?
S.Y: » Non, mais je l’ai continué longtemps ensuite. J’aime la compétition et la gagne, c’est un besoin vital. Donc j’ai continué en vétéran, je suis devenu champion du Monde sur piste (en Poursuite ) en 2000, 2ème en 2004, champion du Monde vétéran des 50 miles chrono en 1997. En 2006, j’ai même battu le record de distance en tandem sur 12 h en parcourant 487 km, j’ai toujours aimé les défis, l’esprit de compétition. Malheureusement, en 2009, on m’a détecté des problèmes cardiaques et j’ai dû mettre un terme à la pratique intense de ce sport. «
Vous qui êtes l’un des précurseurs du cyclisme britannique, que pensez vous de son essor ?
S.Y: » C’est génial de voir tous ces jeunes débarquer. C’est bien ce côté « boom » de notre cyclisme mais paradoxalement, on a de moins en moins de courses pour nos jeunes. Pour diverses raisons comme la sécurité en premier lieu. A mon époque, on pouvait rouler sur les courses sans devoir payer la police pour notre sécurité, maintenant il en faut beaucoup car il y a de plus en plus de voitures sur la route et elle coûte sérieusement cher, pareil que chez vous en France, ça peut plomber le budget d’une course. Sérieux, c’est de la roulette russe sur les routes anglaises. Je me rappelle à mon époque, on se levait tôt le matin pour monopoliser une route pour la course mais ça se faisait, ça ne créait pas de problèmes. Maintenant, c’est impensable, il y a dix milles bagnoles qui passent tous les jours sur la même route et hors de question de la bloquer pour une course.
Tu vois, ensuite il y a un autre problème, on a énormément de gens de 30-40 ans qui vont s’entraîner sur les routes mais rarement des jeunes. Les parents ont peur pour leurs enfants, car tu croises souvent des connards qui vont te rentrer dedans durant l’entraînement. Ce genre de mecs qui doivent avoir les boules car tu fais du sport alors que lui se tape les bouchons pour aller travailler en pensant à son crédit maison à payer, il pense que tu es en vacances et que tu profites, alors que lui il pense être le seul à en chier et il va te rentrer dedans par colère. Ça devient fou de rouler en Angleterre. Alors que chez vous, en Bretagne, c’est plus simple. Quand je vais là bas, je roule des kilomètres sans croiser une voiture. En plus, il y a une véritable culture cycliste avec des belles courses bien sécurisées comme le Kreiz Breizh en centre Bretagne. C’est plus simple et si rassurant pour nos kids d’aller rouler chez vous et c’est beau en plus. »
Justement, votre fils Jesse rejoint les rangs d’Hennebont Cyclisme cette saison?
S.Y « Oui, c’est encore Tony Mills qui est derrière tout ça. Il fait avec Jesse ce qu’il a fait avec moi, et c’est vraiment bien ce qu’il fait pour nous. Et je connais Cédric Le Ny le manager d’Hennebont, il est passionné et près des jeunes. Donc s’entraîner en Bretagne est idéal et en plus le niveau des courses est très bon. Il ne sera pas seul, d’autres Irlandais seront avec lui à Hennebont. Ca sera une très belle expérience pour lui et j’irai voir ses premières courses si le calendrier du Team Tinkoff me le permet. »
Concernant le team Tinkoff justement, le Tour de France vous pensez à la victoire pour 2016?
S.Y: « Oui, on y va pour ça. Cette année, on mise sur le Tour de France avec Alberto Contador. L’année dernière, il était vraiment crevé sur le tour, peut être que le Giro était de trop. Cette saison, il fera l’impasse sur le Giro, il sera prêt et en forme pour le Tour de France. Surtout que ce sera peut être le dernier d’Oleg Tinkoff. Ça serait bien de lui offrir le Tour qu’il n’a jamais encore gagné avec son équipe, lui rendre la pareille pour tout ce qu’il a fait pour nous. Les Sky ne sont pas imbattables et le Mont Ventoux peut faire beaucoup de dégâts si vous n’êtes pas au top ce jour là, plus que l’Alpe-d’Huez! »
Cela fait 31 ans que les Français n’ont pas gagné le Tour de France, qu’en pensez vous ?
S.Y: » 31 ans? Déjà? Bernard a gagné il y a 31 ans ? Ouf ! je suis vieux alors (rires) ! Les Français vous avez eu les meilleurs comme Bernard Hinault et Laurent Fignon. C’est rare de tomber sur des champions comme ça deux fois à la suite pour un pays. Ils avaient des mentalités de champions, ils avaient cette rage en eux. Ils venaient pour gagner. Hinault l’annonçait et il le faisait.
Maintenant, c’est différent, vous avez de beaux champions mais ont-ils vraiment cette rage de crier « je vais gagner » ? Je ne sais pas. C’est très bien d’avoir des équipes pros constituées de gars de son pays mais maintenant aucun pays ne peut gagner le Tour qu’avec des coureurs que de chez lui. Il faut la meilleure équipe du Monde pour gagner le Tour de France, point barre. C’est le World-Tour, le circuit mondial, il faut les meilleurs coureurs dans son team qu’ils soient Français, Anglais, Espagnol ou Croate, on s’en fiche, il faut les meilleurs.
C’est comme dans le football, vous croyez que Madrid, Manchester United, Arsenal, Barcelone ou le PSG ont des joueurs issus que de chez eux ? Non, ils ont les meilleurs, c’est tout. C’est la mondialisation du sport, qu’on le veuille ou non, c’est du business aussi pour le sponsor qui met autant d’argent sur la table pour avoir cette vision internationale et il faut des gros budgets pour les meilleurs coureurs. Pour gagner le Tour de France, il faut la meilleure équipe du Monde, c’est tout. Je pense que si Bernard Hinault avait été coureur maintenant, il serait dans un team étranger, car lui ne pensait qu’à la victoire, il lui fallait les meilleurs autour de lui, il avait la rage de gagner !
Pour revenir sur les coureurs Français, ils sont rares à aller tenter l’aventure étrangère. En France, ils ont ce confort autour d’eux, on s’occupe bien d’eux dans leurs nids. Et les Français n’aime pas beaucoup les changements comme le cyclisme est en train d’en vivre actuellement. Je me rappelle d’un animateur télévision que vous aviez dans les années 70, je le regardais quand j’étais en France et 40 ans plus tard, je le vois toujours à la télévision dans le même genre d’émission (rires) ! C’est votre culture, je l’aime en plus ! Un coureur étranger qui intègre une équipe d’une autre nation va devoir s’adapter à la langue, au style de vie, à la culture comme je l’ai fais et tant d’autres, ça forge un homme ça ! Vous avez de beaux champions mais peut être pas encore de nouveau Fignon ou Hinault, eux, ils étaient exceptionnels! Je le répète: pour gagner le Tour de France, il faut la meilleure équipe du Monde ! «