Il est des histoires d’hommes et de femmes qui sortent de l’ordinaire, des histoires de courage, d’abnégation, de sacrifices, ce genre de truc qui nous fait réaliser que la vie est belle si on s’en donne les moyens pour affronter les pires coups du sort, de celles qui nous font du bien à la gueule et nous réchauffent l’âme. On a décidé de vous raconter cette histoire de rencontre, d’un vélo et d’un homme.
Certes, il n’est pas un pro, Gianni Gauthier n’a pas claqué sur les plus grandes classiques ni sur une étape de Grand Tour, il est inconnu du public mais ses victoires sont peut être bien plus grandes en terme de valeurs humaines. Le « placard » ( nombre de médailles) accroché sur sa poitrine comprend aussi la « VM », la Croix de la Valeur Militaire (destinée à distinguer toute personne ayant accompli une action d’éclat, hors du territoire national, au cours ou à l’occasion de missions ou d’opérations extérieures). le genre de breloques qui donne autant de fierté qu’un pavé à un guerrier de Roubaix, on ne donne pas ça au premier gazier venu…
Ce Breton natif de Rennes, la capitale du Pays, n’a découvert le cyclisme que l’année dernière à l’âge de 29 ans, vous lisez bien 29! Et pourtant, malgré son ignorance de l’art, il va claquer par 9 fois avant la mi-saison. De pass, il est désormais élite et il claque encore avec panache comme il l’a fait hier sur le GP de la Roche aux Fées, en attaquant de loin telle une tête brûlée « Je suis Breton et fier de l’être »
Pourtant, il ne vient pas du cyclisme. Il n’avait même jamais mis un cuissard avant 2022. il vient de ces zones de conflits dont les images terribles sont diffusées à la télévision. Celles où l’on se dit que c’est loin de chez nous et que cela ne nous concerne pas. Que c’est un autre monde tout ça!
Gianni Gauthier est l’un de ces soldats, un caporal-chef du 3 RIMA (régiment d’Infanterie de Marine) de Vannes. Il fait parti du groupement commando SAED (Section d’Appui à l’Engagement Débarqué) où les tests pour y rentrer ne sont pas à la portée du premier venu et sont réputés des plus exigeants et des plus difficiles sur le plan physique et mental. On les prépare au combat, pour des actions spéciales, pas pour des courses cyclistes. Les missions de ces soldats d’élites sont spécifiques comme le renseignement ou les actions choc mais pas pour une échappée sur une course cycliste.
« Une fierté de servir dans cette unité » déclare t-il avec un grand sourire. « Ces années étaient géniales, j’en ai gardé de très bons souvenirs avec les camarades et je tente d’oublier les pires moments »
Après sa formation dans cette unité d’élite, il a été envoyé sur différentes zones de conflits à travers le monde. De sa dernière mission au Mali en 2021, où les contacts ne s’échangeaient pas à coups de lances pierres contre les djihadistes liés à l’État islamique, il est revenu physiquement au plus grand bonheur de sa famille mais pas psychiquement. Quelque chose s’était cassé.. Il avait ces blessures que l’on ne voit pas, longtemps ignorées avant que l’on puisse mettre un nom sur celles ci. Il était atteint du stress post traumatique du soldat. Gianni commençait à sombrer, il n’était pas revenu totalement .
« Je ne comprenais pas moi même ce qu’il se passait. J’ai été immédiatement pris en charge à l’hôpital militaire de Marseille. Il fallait que je m’en sorte. J’ai été très bien accompagné par la défense même si administrativement ça a été long. Je vais souvent à la maison d’ATHOS près d’Auray dans le Morbihan. Elle accompagne les blessés et nous aide à nous reconstruire. Ils font un boulot formidable sur nous tous, ils sont incroyables. »
SE RECONSTRUIRE
En 2021, son papa ancien coursier lui file son vélo pour qu’il aille se vider la tête et retrouver goût à cette vie. C’est le déclic. Il avait physiquement le moteur (3600 mètres au test de Cooper quand même) et il avait surtout l’envie. En 2022, il prend le départ de ses premières courses en Pass, il avait 29 ans.
C’était le cyclisme ou je devenais alcolo
« On ne réagi pas tous de la même façon à nos blessures de guerre. Certains vont trouver le refuge de l’âme dans l’alcool et attendre que cela passe. Et d’autres vont se démener pour retrouver goût à cette vie avec l’aide de personnes comme ceux de la maison ATHOS. Puis le cyclisme est arrivé à moi. C’était ce sport ou je devenais alcolo.
Je me souviens de ma première. Personne ne m’avait dit d’être à poil dans le cuissard. J’avais donc gardé mon caleçon. J’ai roulé comme ça et j’ai attaqué tout le temps en danseuse tant ça me frottait grave (rires)
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Dans ma tête, je suis encore un cadet. Je découvre cet art avec la passion d’un môme de 14 ans
J’ai tellement aimé la compétition, j’ai retrouvé des défis et je me suis entraîné à bloc. J’ai claqué 9 courses avant la mi saison et ils m’ont fait passé en élite. Dans ma tête, je suis encore un cadet. Je découvre cet art avec la passion d’un môme de 14 ans. C’est pour cela qu’il m’est impossible de ne pas attaquer, j’aime cette sensation de liberté.
J’ai eu de la chance de tomber aussi sur des bonnes personnes cette année dans le monde du vélo comme avec le team UCK Bretagne Sud. Mon DS Yann (Dejan) a vu tout de suite mes fêlures et mes forces. On n’a pas besoin de se parler beaucoup, on se comprend tout de suite. Il y a vraiment une confiance mutuelle entre nous et en plus les « gamins » sont sympas. On est une bonne bande, comme un groupe de combat (rires). «
Pourtant à 29 ans et à l’heure du jeunisme qui frappe dans le cyclisme, il commence à se faire scruter par des équipes pros et notamment étrangères à la recherche de gars capables de souder et d’épauler un groupe tel un Cameron Wurf, le champion de Triathlon de 39 ans, chez Ineos Grenadiers.
« Je ne rêve pas d’être pro mais de devenir encore meilleur. Je suis militaire, j’ai un travail. Je quitte le groupe SAED mais je vais rejoindre un bureau des sports d’un régiment bientôt. J’ai une famille et je suis là pour eux. Non, je cours pour le plaisir de la compétition, du défi sur soi même aussi. C’est vrai que certaines équipes m’ont déjà contacté mais on verra, les paroles s’envolent… Je me mets aucune pression, j’ai déjà un foyer. Mais mon parcours un peu atypique ne passe pas inaperçu (rires).
une pression incroyable pour performer de juniors à espoirs 2ème année.
Ce qui me frappe, c’est le jeunisme qui frappe le cyclisme. Toutes les équipes espère trouver la perle rare comme Remco Evenepoel. Du coup, les gamins sont déjà déprimés quand ils sont toujours chez les amateurs en 3ème année espoirs. C’est dangereux car ils se mettent une pression incroyable pour performer de juniors à espoirs 2ème année. 4 années de leurs vies, à la période de la construction, du passage d’enfant à adulte, sont sous cette pression constante. C’est trop récent dans le cyclisme ce phénomène pour que l’on puisse évaluer les blessures que cela provoquera dans quelques années.
Mais ce qui est dommage avec cette mode de la jouvence, c’est que des gars qui sont capables de faire des grandes choses à 24 ou 25 ans voir plus passent sous les radars des équipes pros. Ils ont besoin de plus de temps pour régler le moteur mais un fois réglé, vous pouvez toujours vous accrocher pour les suivre. Dommage oui que les équipes passent à côté de ses gars! »
Retrouves tu l’esprit cohésion du groupe militaire dans une équipe cycliste?
« Parfois je le retrouve et surtout cette année. A 30 ans, je fais office d’ancien parmi nos jeunes de l’UCK Bretagne Sud, ca calme! (rires). Avec nos vécus, on essaye de souder le groupe. Dès que l’on sent qu’un des jeunes cogite alors on va le voir, on lui parle et on lui booste le moral. Quand l’un de nous est à la traîne, on va le voir et on le pousse tous ensemble. Donc oui, je retrouve cet esprit de cohésion avec notre équipe
Quand le temps est mauvais, que la pluie et le vent se mettent dans la partie, j’aime ça. Car on en chie tous ensemble, on va tous ensemble puiser dans nos réserves et on se dépasse. Ca créé une belle unité au sein du groupe quand on traverse le plus dur ensemble «
Avec l’équipe de France Militaire sur le Kreiz Breizh élites
Tes prochaines courses?
« Il y en a pas mal mais je vais aller sur le Kreiz Breizh élites avec l’équipe de France Militaire. C’est l’héritage de l’équipe Armée de Terre où il y avait cette force mentale incroyable à l’époque. Il y a en un paquet de champions qui sont sortis de cette équipe comme un vieux de 22 ans à l’époque qui se nomme Julian Alaphilippe »
Photo en tête Philippe Le Cocq , Gianni Gauthier GP de la Roche aux Fées