Dans ce monde parti légèrement en vrille où le « chacun pour sa gueule » est devenu un mode de vie, certains se battent pour remettre un maillon sur cette chaîne cassée, histoire de passer les vitesses pour faire avancer le truc. Des anciens ont décidé de réveiller ce cyclisme devenu lui aussi égoïste et qui a oublié quelques unes de ses valeurs, de ses origines.
A 58 ans, le champion Philippe Bouvatier a toujours autant de hargne. N’allez pas lui dire de se calmer, de profiter de sa retraite de cadre qu’il fut chez Canal Plus après une carrière de champion cycliste, n’allez pas lui dire de profiter du temps qui passe superbe et enfantin, de cette douceur de vivre, ce sera peine perdue!
Non, « Boubou » comme le surnomme ses frères du peloton n’est pas ce genre de gars. « Boubou » est un coriace à la peau dure, un bouledogue (Non Boubou n’est pas un diminutif de ce canidé, quoique…) ! . Quand le bonhomme a quelque chose en tête, rien ni personne ne peut l’en détacher, il ne lâche rien, il mord.
Sous ces airs de faux calme, « Boubou » est un volcan, un caractère bouillonnant, cogitant sans cesse, remuant terre et ciel tels ces personnage de Marcel Pagnol qui parlent fort mais qui eux agissent. Il sait ce qu’il veut et il y va avec ce coeur bien plus grand que la moyenne et qui bat parfois trop fort. Il lui faut une réponse à chacune des ses question posées, surtout si le monde ne tourne pas rond.
Déjà chez les amateurs, il effrayait tout le monde. Quand il prenait le départ, les autres savaient que ca allait être l’Enfer sur la course. Il est presque impossible de prendre sa roue quand le volcan décidait de se déchainer. Quand il partait full gas, on ne le revoyait plus sinon que sur le podium. Il a totalisé plus de 150 victoires chez les amateurs dont Paris Evreux, Paris Auxerre ou Paris Mantes entre autres
Philippe Bouvatier: « J’aimais ça, rouler à bloc à s’en faire péter le coeur, donner tout ce que tu as en toi, au de là des limites physiques et mentales!. A l’époque j’avais une bourse de 5000 francs. Je n’en revenais pas, cette passion me rapportait de l’argent. C’était incroyable pour moi. On avait aussi convenu avec mon club que je ne toucherais pas de salaire mais que je toucherais un franc par kilomètre de courses gagnées. Ca me motivait encore plus. Alors je prenais le départ des épreuves les plus longues et je les gagnais, pour le plaisir, pour la découverte de mes limites et pour l’argent faut être sincère. »
Une victoire pour ses débuts, deux, trois » Et ainsi de suite. Le petit prodige, quoi ! » écrivit alors Jean Marie Leblanc sur le journal « L’équipe »
Les pros, c’est un autre monde. Un monde très agressif. Un monde d’adulte
Puis ce fut le passage chez pros, chez Renault Elf Gitane. Le Normand prit la 3ème place du tour de L’Avenir remporté par son leader Charly Mottet. Philippe Bouvatier découvrait le monde pro, ses questions sur la vie et sur le monde ! Oui mais voilà, le féru de philosophie (tout comme Guillaume Martin l’autre Normand) et de bouquins de psycho veut aussi savoir qui est-il, dans quel monde évolue t-il? Il mettra quelques années pour avoir ses propres réponses dans ce peloton où il détonnait des autres. En 95, il rejoignait alors l’étranger avec le team Espagnol BH tout comme le jeune Candide quittant son royaume de Thunder-ten-tronckh, histoire d’aller voir ailleurs qui il était vraiment. Qu’il fut long le chemin avant qu’il ne se trouve !
A Philippe Brunel à l’époque il déclara : » Les pros, c’est un autre monde. Un monde très agressif. Un monde d’adulte (…) Je me découvre une âme d’altruiste et j’ai plaisir à travailler pour des coureurs qui réalisent des choses que je ne serais pas moi-même capable de faire » Ce doute, il mettra des années à l’écraser une fois pour toute contre le bitume des routes
Il claqua ensuite sur le Tour Méditerranéen ou sur le Herald Sun Tour, gagné le duo Normand avec son pote Thierry Marie, sur le Trio Normand avec Joël Pelier et Roland Leclerc. Mais pourtant, le public ne retient que l’histoire du héros malheureux sur la quatorzième étape du tour en 88, entre Blagnac et le sommet de Guzet-Neige. Ce jour là, il était à 200 mètres de l’arrivée, seul après une attaque foudroyante quelques instants plus tôt contre le Britannique Robert Millar et l’Italien Massimo Ghirotto qui avait déjà la langue pendante sur le guidon. Mais une erreur d’aiguillage à 150 mètres et le voilà sur un parking avec Millar derrière. Ghirotto gagne l’étape. Le Français termina 3ème…. Mais il avait gangé plus grande victoire aux yeux du monde, celle du coeur et du tour. La voiture Peugeot destinée normalement au vainqueur d’étape par ASO lui fût attribué. Mais il en avait que faire! C’était l’étape du tour, bordel!
Philippe Bouvatier: » Au mois de décembre dernier, je vais à la FNAC chercher quelques bouquins. Et je tombe sur celui de la Fédération Française de la Lose. Je l’ouvre et je tombe sur mon étape… Ca m’a fait rire. Mais j’ai réalisé que de mon passage chez les pros, les gens ne retiennent que ça! Ca pique un peu (rires)! »
Désormais, il a rejoint l’Amicale du Cyclisme, cette association de coureurs fondée en 1943 dont Antonin Magne fut le président, tout comme Roger Piel, Bernard Thévenet, Jean Marie Le Blanc, Jean Bobet et désormais Marc Madiot. Le but de l’Amicale? « Amitié et solidarité » entre les coureurs. Faire savoir que les hommes ne sont pas seuls, que les anciens sont là pour les aider, les conseiller. Mais encore, faut il que le peloton le sache..
Alors depuis quelques temps, Marc Madiot a accordé aux deux champions Philippe Bouvatier et Bruno Cornillet d’aller à la baston pour réveiller la famille, du pro jusqu’à l’amateur. Et les deux équipiers font alors le job, à la rencontre des anciens pour les faire revenir pour aider la famille.
Mais le destin frappa de plein fouet « Boubou ». Un double AVC en décembre dernier, 5 semaines en soins intensifs, seul face à lui même, ses doutes et ses questions de nouveau dans la boîte crânienne. Cette fois, ci, outre ses enfants et sa compagne la championne Irlandaise Fiona Madden, les potes du peloton sont là. Bruno Cornillet et Thierry Marie sont à ses côtés.
Philippe Bouvatier: » Mi décembre, j’ai fait un double AVC chez moi. J’étais paralysé, allongé au sol pendant plusieurs heures et j’ai été secouru par mes filles emmené aux urgences à Hôpital de St Brieuc. Je suis sorti des soins intensifs maintenant. Je suis désormais chez moi à Rouen dans un centre de rééducation. Je marche, je parle, j’écris, je me bats. Parfois, je suis fatigué et je ne peux plus rien faire. Mais chaque jour, je fais des progrès et je ne suis pas seul. «
Bruno Cornillet et Thierry Marie ont tout le temps été près de toi. Comme tu le dis « Ensemble sur le vélo, ensemble dans la vie ». C’est ça l’Esprit de l’Amicale du Cyclisme?
« Et mon ami Gilles Sanders vient de Toulouse en avion pour venir ici. Sérieux, ca me touche! On reste tous solidaires oui et ça fait du bien à la gueule!. Tu imagines ce que l’on a vécu dans le monde pro tous? On a partagé des joies, des tristesses, des coups de gueules, de la souffrance. C’est un peu ce que le fantassin décrit de l’armée: » On a dormi dans le même trou de combat ». On aime se retrouver, se soutenir dans les coups du durs, s’encourager pour ne pas mettre pied à terre. On se raconte des anecdotes du passé tels de vieux combattants (rires)! Cette photo en tête de ton article avec mon ami Bruno Cornillet, nous sommes des frères sur le vélo et en dehors, et comme celle avec Thierry, elle résument stout! «
L’Amicale, c’est la famille du vélo. Nous sommes ensemble sur le vélo, ensemble dans la vie
Qu’est L’Amicale à la base?
« L’Amicale est une association d’acteurs du vélo qui se réunissent et informent le peloton au travers d’une revue « Vélo Star ». Ca parle de l’histoire du vélo et de ses héros. Les thèmes sont divers mais toujours avec une idée de grandeur de ce sport. On remet aussi chaque année un Trophée au jeune coureur Français qui font l’avenir du notre cyclisme et avec nos valeurs. Cette année, c’est Mathis Louvel qui a été couronné par les anciens »
Mais pourquoi est il si important pour vous tous de faire rebattre le coeur de « L’Amicale du Cyclisme », même ici dans ton centre de rééducation?
« Personnellement, le vélo reste ma famille. Car la mienne en privé et à ce jour ne se résume qu’à peu de personnes. Ca reste un petit milieu la famille du vélo où tout le monde se connait. Et comme dans n’importe quelle famille, il y a des tensions, des disputes. Parfois quelques membres de la famille font des bêtises mais au plus profond de nous même on s’apprécie. On reste soudé malgré les années et la distance qui nous séparent parfois. . Mais si l’un de nous est dans la merde, nous nous devons être là pour l’aider. Et pareil pour les jeunes qui ne connaissent pas encore l’Amicale du Cyclisme. C’est la famille du vélo. Nous sommes ensemble sur le vélo, ensemble dans la vie »
Lien pour adhérer à l’Amicale du Cyclisme et rejoindre Philippe Bouvatier, Bruno Cornillet, Marc Madiot et tous les autres, cliquez : ICI