On vous avait déjà parlé de la « perle du Maghreb » avec Fatima Zahra El Hayani. 9 fois (3 fois en or, 3 fois en argent, 3 fois en Bronze) sur les podiums des championnats d’Afrique sur piste, un titre sur route chez les juniors dames. Cette saison, elle est la championne du Maroc sur route en titre, vice championne du contre la montre (sur le chrono, elle avait pourtant 2min d’avance sur sa rivale à l’arrivée mais c’est le Maroc, allez comprendre! ).Lors des derniers Jeux d’Afrique, pour sa première course en VTT et sur un bike cassé, elle termina 3ème à cause d’une crevaison. Pas si mal pour une première fois, non? Par ailleurs, la fédération Marocaine ne lui a jamais reversé aucune de ses primes de victoires. Ce que l’on savait moins, c’est ce parcours si particulier dont elle est issue. Fatima Zahra El Hayani a connu un destin qui ne lui a fait aucun cadeau. Elle aurait pu glisser vers le côté obscur de la rue mais elle avait cette rage de s’en sortir, de devenir quelqu’un ! N’allez pas lui parler sur quel matos elle courait étant gosse, son vélo elle le retapait elle même avec les moyens du bord. Elle aurait pu finir la gueule ouverte sur les trottoirs de Sidi Slimane ou retourner au bled et y mener la dure vie mais elle a choisi le sport pour s’en sortir. Son école? La rue, entre autre….
Cette jeunesse m’a formé à être une combattante mais surtout le milieu dans lequel j’ai grandi
« Nous ne naissons pas tous sous la même étoile. Et alors? C’est vrai que nous n’avions pas le confort. Notre maison avait le sol en terre battue, pas d’électricité sauf quand on pouvait payer de temps en temps les factures et pas de gaz.. Bref,on n’avait pas les moyens d’avoir ce que les autres avaient mais nous étions heureux et c’est le plus important.
Quand je suis arrivé en France, on m’a demandé quel était mon film préféré ou mon jeu de PS4… Ca va paraitre un peu con mais je ne savais même pas ce que voulais dire PS4, je n’avais pas de télévision et on allait pas au cinéma. Donc du coup, je ne savais pas quoi répondre … Ca m’a un peu foutu les boules cette question… Je veux pas que l’on chiale sur mon sort mais je n’ai pas eu les mêmes cartes pour commencer, c’est comme ça !
Je suis issu de ce milieu pauvre mais cela m’a aidé au final. Cette jeunesse m’a formé à être une combattante mais surtout le milieu dans lequel j’ai grandi. Ca m’a construit, je suis devenue naturellement une combattante. Je me bats tous les jours pour atteindre mes rêves. Cette jeunesse m’a construite. »
Pourtant, tu étais une inconnue dans le monde du cyclisme européen il y a quelques mois. On t’a vraiment découvert sur les derniers Jeux Africains et le championnat du Maroc.
« Oui c’est vrai. Mais l’entraîneur de l’équipe nationale m’a aidé énormément. Un jour, il m’a annoncé que le nouveau DTN, Yann Dejan, voulait me voir. Mais j’habitais à 160 km et je n’avais pas d’argent pour prendre le car. Du coup, je suis partie à vélo à Casablanca. J’avais tant de choses à leurs dire, notamment sur la condition de la femme dans le sport Marocain, j’avais tant de colère.
Mais quand j’ai parlé avec Yann, tout s’est calmé en moi. J’ai découvert un homme à l’écoute et qui croyait en moi. Il m’a alors dit « Ecoute, tu vas vivre chez moi désormais. Fini de traîner dans la rue et tu vas travailler dur pour atteindre tes rêves. Tu peux les décrocher mais désormais, tu ne retournes plus dans la rue… Tu restes près de moi. » Je vis maintenant en Bretagne avec sa femme et ses enfants. Il est devenu comme mon père et je me sens de la famille. Il est cette chance que je n’avais jamais eu avant.
Justement cette période avant la rencontre avec Yann Dejan, peux tu nous en parler?
« Tu veux que je te raconte quoi? Cette vie d’adolescente ? Au début, je ne voulais pas en parler. J’avais ça en moi mais au fur et à mesure des mois passés ici, j’ai réalisé que je devais en parler pour les autres gamins dans mon cas. Car le destin peut changer si tu crois en toi et si tu te bagarres vraiment pour t’en sortir.
La rue t’apprend à survivre, à devenir plus forte si tu ne lâches pas la rampe
Ok, j’ai connu la galère. Vivre dans la rue, ne pas savoir si j’allais bouffer le soir et où j’allais trouver un endroit pour dormir. Mais j’aurai pu resté chez moi aussi, avec les miens en attendant que les jours passent. J’avais fait un choix, celui de partir pour réaliser mon rêve : devenir une championne.
Je ne disais rien à ma famille sur mes conditions car je ne voulais pas qu’ils s’inquiètent et me disent de revenir. »
Qu’as tu appris à ce moment?
« Beaucoup sur la vie et les gens. La rue, c’est de la survie, un combat. Elle t’apprend à devenir plus forte si tu lâches pas la rampe. C’est plus le même deal que t’offre la vie à ce moment là ! J’ai rencontré des gens formidables qui m’ont tendu la main, j’en ai rencontré d’autres qui étaient là pour t’exploiter et te détruire à petit feu. Je me suis aussi rencontré car tu te trouves des ressources physiques et mentales incroyables pour t’en sortir.
J’ai rencontré des gens formidables et d’autres qui étaient là pour t’exploiter et te détruire à petit feu
D’autres choisissent des chemins peu recommandables mais si faciles à prendre et à y glisser en vendant de la came et d’autres choisissent leurs rêves. Voilà comment tu en ressors si tu ne dérapes pas. Je suis désormais là, et ce passage m’a renforcée dans ce que je veux devenir.
Mais on va chialer sur mon passé, il y en a d’autres qui restent en enfer et personne n’est plus là pour eux aussi bien chez moi que dans les rues en France. Il ne suffit par de leurs dire simplement « Pose ton gun et fais du sport . » Non, il faut être là tout le temps et croire en eux aussi, leurs faire confiance et leurs permettre de s’épanouir. »
Quand tu as eu ton premier vélo, as tu su que cet engin allait transformer ta vie?
« J’ai décroché mon certificat d’études car papa m’avait promis un vélo si je l’avais. Dès que je suis monté sur le vélo, retapé et hors d’âge, qu’il m’avait offert, j’ai tout de suite ressenti des sensations très spéciales et j’ai tout de suite su que c’était le moyen pour moi de m’en sortir. J’avais 15 ans… Je savais qu’il pouvait m’aider à quitter cette vie.. »
Ma famille est et restera la chose la plus importante au monde pour moi.
Ton père, ta famille, ce soutien?
« Ma famille est et restera la chose la plus importante au monde pour moi. J’ai beaucoup de respect pour papa qui gagne 90 € par mois et pour ma mère car ils ont malgré tout cela réussi à m’éduquer avec le peu de moyens qu’ils avaient et je les remercie à jamais. Ils m’ont appris la vie, ses valeurs, son prix. Je les aimes tant. »
Des champions te soutienne, de nombreux jeunes du Maghreb aussi?
« Bien sûr que ça m’aide énormément quand je souffre. Tous ces soutiens me font du bien au coeur. Mais tu sais, je lis énormément depuis que je suis en France. Je m’abreuve de votre culture et j’y apprends votre langue. Je lis de tout et aussi beaucoup d’interview de champions.
Mais il y a tant d’autres jeunes qui ont du talent et qui crèvent dans la rue
Je t’avoue que je ne connaissais pas Bernard Hinault avant d’arriver ici. Mais je lisais dernièrement ce qu’il disait dans une interview. Que les champions de demain viendront des milieux pauvres car ils auront la dalle. Il racontait que lorsque la vie est difficile tous les jours, le fait d’avoir mal aux jambes n’est rien à côté de tout cela. Il a raison. Je me suis reconnue en ses paroles. Mais il y a tant d’autres jeunes qui ont du talent et qui crèvent dans la rue car ils n’ont pas rencontré les bonnes personnes comme je l’ai fait avec Yann. »
7 ans après avoir enfourché ton premier vélo, te voilà chez Team Arkea Dames et tu t’entraines avec Nairo Quintana et Nacer Bouhanni
« Tu imagines ce que la vie peut te réserver? Ces deux hommes sont de grands champions et des grands hommes.
Avec Nacer Bouhanni, j’ai rencontré un homme au grand coeur
Nader et Nairo sont venus vers moi pendant le stage et ont été très simples avec moi, de grands hommes oui.
Nacer Bouhanni est un exemple pour les pays du Maghreb car c’est un sprinter un peu fou (rires), il est un guerrier qui ne lâche jamais rien. Je me fous de ce que certains peuvent dire sur lui. J’ai rencontré un homme au grand coeur et quand tu parles avec lui, tu sais qu’il est un homme bon, un grand. L’école de la rue m’a appris à reconnaitre qui l’est ou pas. Nacer Bouhanni est un champion et un vrai homme dans le sens le plus noble du terme.
Au Maroc, on me surnomme Quintana (rires)
Nairo Quintana est une icône pour moi. C’est un grimpeur et il peut être très malin sur un profil où on ne l’attend pas. Je rêve de réaliser la même carrière que lui et les mêmes performances, ? Par ailleurs, au Maroc, on me surnomme Quintana (rires). »
Team Arkea, tu peux nous en dire plus?
« Emmanuel Hubert, je ne le remercierai jamais assez. Il m’a fait confiance alors que personne ne me connaissait sinon que le cyclisme Africain. Il m’a tendu la main, me donne ma chance. Je lui promet de lui rendre la pareille sur les plus belles épreuves.
L’équipe Arkéa est une équipe en création. Et les filles sont géniales, j’ai énormément apprécié ce qu’a fait Tiphaine Laurence pour moi en me prenant par la main pour m’intégrer dans le groupe, ça m’a énormément touchée. J’ai également passé de très bons moments avec toutes les filles, et particulièrement avec Lucie Journier avec qui j’étais en chambre durant ce stage… Lucie est très gentille est un petit peu folle comme moi, je l’adore (rires). Arkea Dames, c’est ça ! »
Rendre la pareille à Emmanuel Hubert, tu as la rage pour ça?
« Depuis mon plus jeune âge! C’est avec les conditions dans lesquelles j’ai grandi qui m’ont construit comme ça. D’ailleurs, avec la rue, j’aurais aimé faire du kick boxing. j’adore ce soir mais j’ai un petit problème car je ne peux pas taper une fille et je n’ai pas le droit de combattre contre les garçons. Si je combats sur un ring, c’est comme dehors, ça sera contre un garçon pour lui montrer qu’une femme peut en envoyer autant qu’eux ! »
Bientôt, tu seras l’invitée de la Radio Mars, la radio la plus suivie dans les pays du Maghreb. Il y a 3 ans, tu l’écoutais dans la rue.
« Oui, c’est dingue ça ! Je vais passer dans l’émission d’Ahmed Naim. Oui, je suis ravie mais je le dois à tous ceux qui ont cru en moi. Et notamment la Bretagne avec Arkea Dames, Yann Dejan et ceux de l’UCK Vannes.
Je veux être la représente des femmes Arabes dans le sport et montrer aux gamins qu’il faut croire en nos rêves, qu’il ne faut jamais lâcher même quand on doute, quand c’est difficile. C’est là justement que l’on sera plus fort en se battant. La vie passe vite et nos rêves aussi, alors croyons en nous ! »