17 avril 1966, un froid mordant et une pluie glaciale se sont invités sur ce 64ème Paris Roubaix… Dans le vélodrome, la foule était pourtant bien présente, rien ne pouvait les empêcher de venir vénérer ces saints guerriers dans ce sanctuaire de l’Enfer qu’est le vélodrome de Roubaix. Même le curé est là, loin de l’autre église vénérant d’autres saints, d’autres immortels.
Il en sera l’apôtre contant les histoires de ces immortels, ces anges déchus des dieux dansant comme des damnés sur les maudits pavés de l’Enfer!
Parmi les ouailles de cette religion, un gamin de 8 ans se tient debout, là, planté sous cette pluie et ce froid qui transpercent son petit corps de rêveur admiratif. C’est la première fois que le jeune Pascal Sergent se rend à cette grande messe. Ce jour là, un certain Felice Gimondi l’emportait en solitaire, avec plus de 4 min d’avance sur Jan Janssen. Ce jour du 17 avril 1966, Pascal Sergent sait que le cyclisme sera l’un des grands chapitres de sa vie, qu’il en sera le témoin privilégié, qu’il en sera l’apôtre contant les histoires de ces anges déchus des dieux dansant comme des damnés sur ces maudits pavés de l’Enfer!
De cette véritable révélation, il en fera son métier, racontant l’histoire des forçats à travers les âges, il en sera le gardien de ce devoir de mémoire, il en fera des « Immortels ». Ses premiers écrits, il les écrira pour la voix du nord, puis pour cyclisme International, Vélo-news, Vélo Star et tant d’autres encore. Mais son premier évangile, il va l’écrire en 90. « Chronique d’une légende; Paris Roubaix » , tant d’autres suivront, tous attendus par les fidèles que nous sommes. L’un d’eux (Un siècle de Paris Roubaix) sera même élu parmi les 50 meilleurs livres du cyclisme de tous les temps par le célèbre magazine anglophone Cycle Sport. Des 4 coins du monde, « Un Siècle de Paris Roubaix » est lu, raconté, conté, transmis de générations en générations. Il a été écrit par cet homme qui, enfant, avait croisé le regard de Felice Gimondi, ses yeux perçants au milieu d’un visage maculé de boue, une gueule d’ange déformée par la souffrance…
L’histoire, il l’écrit avec cette foi inébranlable que l’on nomme cyclisme
Chaque année depuis, Pascal Sergent revient sur la ligne d’arrivée de l’Enfer du Nord. Il redevient alors ce gamin de 8ans admirant ces héros. 53 ans plus tard, il est devenu cet apôtre écrivant nos évangiles. L’histoire, il l’écrit avec cette foi inébranlable que l’on nomme cyclisme, ses testaments à jamais gravés, édités par « Les éditions d’Arenberg« , du nom de cette trouée légendaire.
Pascal Sergent, comment êtes vous tombé amoureux de Paris Roubaix?
Pascal Sergent; » Le 17 avril 1966, je ne suis pas seulement tombé sous le charme de Paris Roubaix, ce jour là je suis aussi devenu amoureux du cyclisme. Pas seulement de l’Enfer du Nord. Je me rappelle, j’avais 8ans et mon père m’avait emmené voir l’arrivée pour la première fois. Il me parlait de ces champions, me racontait leurs histoires. Ce jour là Felice Gimondi l’avait emporté. Des années plus tard, je l’ai revu et je lui ai alors dit cette phrase, en riant; « Felice, c’est à cause et pas grâce à toi que je suis devenu écrivain ».
Quelques temps plus tard pars cette première arrivée, je suis devenu coursier au sein du VC Roubaix. J’étais jeune et l’un de mes équipiers, qui avait 1 ans de moins que moi, se nommait Alain Bondue, il a aussi écrit l’une des plus belles pages de Roubaix, je le vois toujours par ailleurs. Moi, je ne suis resté qu’au niveau amateur mais je roule toujours bien sûr.
Oui, ce jour d’avril 1966 tout à commencé mais pas seulement sur l’Enfer du Nord, mais sur toutes les autres en France, en Belgique, aux Pays bas, partout. Oui, je raconte souvent Paris Roubaix car je suis en enfant de cette ville, de ce Nord dont je suis devenu le vice président du comité régional des Hauts de France. Mais le cyclisme est international, les légendes se bâtissent partout et je me suis rendu aux 4 coins du globe pour aller les voir, les écouter religieusement afin de retransmettre leurs histoires, celles du cyclisme. »
Quel est le plus beau souvenirs de Paris Roubaix que vous gardez?
Il y en a tant, tant de belles victoires, de belles histoires. Mais une seule me touche particulièrement, la victoire de mon ami Franco Ballerini en 1998. Pour illustrer Paris Roubaix 1998, Franco l’avait gagné en 95 déjà et j’avais mis une photo de sa victoire quelques semaines auparavant pour illustrer mon article pour Vélo Star, le magazine officiel d’ASO. Et en 98, il l’emporte de nouveau en solitaire devant Andrea Tafi.
Quand Franco a passé la ligne, on s’est croisé et nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Une étreinte rapide mais qui était si intense pour lui et moi. Nous n’avons rien dit, juste regarder, puis il a été avalé par la meute de journalistes et d’officiels pour recevoir son 2ème pavé. Cet instant, il reste gravé dans mon coeur. Franco était mon ami, il venait à la maison, j’allais chez lui en Toscane, il me manque terriblement. »
L’histoire la plus dramatique?
Tout d’abord, celle de Michael Goolaerts est une tragédie. Elle reste marquée à jamais dans l’esprit de tous, ce champion parti si jeune, jamais on ne pourra l’oublier.
Jean Maréchal, l’histoire de ce gamin de 20 ans qui avait franchi le premier la ligne d’arrivée en 1930
Mais sportivement, la plus tragique et la plus dramatique se situe en 1930. C’est l’histoire de ce jeune Français de 20 ans qui s’appelait Jean Maréchal. Un gamin qui avait des tripes, du coeur et un courage énorme. Il était échappée sur ce 31ème Paris Roubaix. Avec lui, un Belge Julien Vervaecke. Jean Maréchal vole sur les pavés, il surclasse le belge qui est au bout du rouleau. Jean Maréchal est équipé et sponsorisé par un petit fabriquant de cycles de Paris qui se nomme Colin, tandis que Vervaecke fait parti de la meilleure équipe du monde à l’époque qui se nommait Alcyon Dunlop.
Dans un virage , Maréchal et Vervaecke joue un peu des épaules et le belge chute . Maréchal arrive le premier sur le vélodrome de Roubaix, il l’emporte mais il sera déclassé sur réclamation de Vervaecke et Julien Feuillet du team Alcyon. Mais chose étrange, il n’est pas disqualifié comme le règlement le préconise, il sera classé 2ème… Incompréhensible sauf si on connait l’histoire. En effet, la marque Alcyon peut acheter des espaces publicitaires dans le quotidien « L’Auto » qui organise la course. Desgranges le sait et décide de déclasser Maréchal qui lui n’avait pas de grand sponsor capable d’acheter des espaces publicitaires.
Ils lui ont signé son arrêt de mort sportif ce jour là
Voilà l’histoire la plus dramatique de Paris Roubaix, sportivement parlant. Jean Maréchal ne s’est jamais remis de cette décision, même si il remportera Paris Tour la même année. Ils lui ont signé son arrêt de mort sportif ce jour là alors que c’était un grand champion à seulement 20 ans. Il n’a jamais cessé de clamer son innocence et tout le monde le sait, il l’était..
Pourquoi Paris Roubaix plaît elle au monde entier?
Car il se passe toujours quelque chose. Dès le départ, l’histoire s’écrit, tout peut changer sur chaque section pavé, le scénario peut changer à tout moment et c’est ça qui plait aux gens. Elle est vivante et rentre dans la légende dès les premiers pavés.
Saviez vous que l’un de vos livres a été élu parmi les 50 meilleurs livres du cyclisme de tout les temps?
Oui, je l’ai appris et j’ai été vraiment surpris. Il a été traduit an anglais et dans plusieurs langues. C’est un honneur d’avoir été élu parmi les 50 meilleurs. J’écris toujours en Français mais peut être qu’un jour je les éditerais en anglais sous le nom de ma maison d’édition « Editions d’Arenberg « . Paris Roubaix est un monument, une légende qui se raconte aux 4 coins du monde, transmise de père en fils comme le mien me l’a transmise ce jour du 17 avril 1966. »
Vous pouvez trouvez les évangiles selon Pascal Sergent en cliquant sous le lien ci dessous