[dropcap]À[/dropcap] l’heure où le cyclisme ne tourne qu’autour de l’affaire Chris Froome, il nous fait du bien à la gueule d’écouter d’autres histoires qui, elles, nous font « triper » : celle de « Monsieur » Alain Baniel est un véritable bol d’air. Il suffit de voir le bonhomme pour réaliser qu’il n’est pas tout à fait comme les autres. Ce passionné est le créateur du Kreiz Breizh Élites, cette course qui a vu tant de champions y faire leurs premières armes, et cela bien avant d’en faire sur les Grands Tours, à l’instar de Sam Bennett sur le dernier Giro. Le « Druide de Callac » comme on le surnomme, natif de cette ville d’irréductibles au centre Bretagne, a même rajouter des couverts dans son auberge en créant le Kreiz Breizh Dames (Tour de Belle-île qui aura lieu le 26 Juillet), une folle histoire de plus…Car oui le Druide est un peu barge. À jamais grand rêveur et surtout un homme avec un cœur énorme pour ces jeunes. Ce cœur qui lui permet de créer ces tremplins en leurs permettant d’atteindre leurs rêves. Alain Baniel se donne sans compter, impliquant souvent la famille dans ses projets insensés, de la chère et tendre au fiston en passant par le beau-fils : tous le suivent sans rechigner. Le Clan Baniel est même parvenu à emmener quelques 900 bénévoles dans leur folle aventure qui fait le bonheur de ce centre Bretagne.
Durant 11 mois, il donne tout pour son chef d’oeuvre que l’on nomme « KBE », quitte à en perdre la boule, et parfois la foi, tout en risquant sa santé face à l’énormité de la tâche ! Mais le Druide a une botte secrète qui lui permet d’affronter toutes ces épreuves. Chaque année ce marathonien confirmé (une bonne dizaine de marathons à son actif de New York à Paris) se fait un « trip » de 800 kilomètres à pied, ni plus ni moins.
Sur les traces de Saint Jacques de Compostelle, Alain Baniel parcourt champs et rivières, villages et forêts, seul contre cette nature qui ne lui fait pas vraiment de cadeau par moment. On a contacté le « Druide » au terme de ce périple de 800 kilomètres parcourus en 25 jours, tout ça pour simplement réfléchir sur l’avenir : le sien, puis inévitablement celui du cyclisme amateur et du Kreiz Breizh.
Alain Baniel, 800 kilomètres de marche : pourquoi faire ce périple ?
J’ai toujours aimé le sport et surtout les défis. Déjà en activité, je faisais pas mal de marathons (14 en tout) en plus de m’occuper de cyclisme. Maintenant, je suis en retraite et j’ai toujours ce besoin d’aller voir jusqu’où mes limites peuvent m’emmener. Le chemin de Saint Jacques de Compostelle me paraissait l’idéal pour me tester.
Je me bagarre pour organiser ces courses. T’imagines pas combien de fois j’ai voulu tout plaquer…
Qu’est ce que cela vous apporte ?
Du recul, un certain retour à soi, une introspection nécessaire sous le jugement de cette nature qui te remets à ta place. Tu ne peux qu’être humble face à elle. Tu n’es rien sur cette terre, elle continuera de tourner sans toi dans le futur. Mais tu peux inspirer les générations à venir et à se battre pour leurs rêves. J’ai été jeune moi aussi et des anciens m’ont montré comment faire pour toucher ces rêves. Désormais, c’est à moi, l’ancien, de transmettre cette rageuse envie et ce petit savoir-faire aux miens avant que notre base cycliste ne crève.
Vous le faites seul ce petit trip ?
Oui, je le fais seul même si nous sommes partis à 3 le premier jour mais la pluie les as quelque peu calmé. De toute façon, j’ai ce besoin vital de m’isoler et de me tester pour pouvoir savoir qui suis je encore et jusqu’où je peux aller, de pousser mes efforts au-delà de mes limites. Cela me recharge physiquement et spirituellement. Durant 11 moins, je me bagarre pour monter le Kreiz Breizh Élites et maintenant le KBE Féminin « le Tour de Belle-Île en Mer » face à un bordel incommensurable. T’imagines pas combien cela peut être difficile ! T’imagines pas combien de fois j’ai voulu tout plaquer…
C’est-à-dire ?
Chaque année, il y a toujours de nouveaux problèmes. Être organisateur de course est un véritable défi humain. Même la passion ne te suffit plus. Combien d’entre nous ont mis la clé sous la porte tant on leur demandait des trucs incompréhensibles, avec encore et encore de nouvelles charges alors que tes poches sont percées depuis longtemps. Personne ne t’épargne, ni la fédération, et ni les préfectures. Si tu n’as pas de soupape de décompression, tu pètes un plomb face et tu arrêtes, le cœur lourd. Le fait de se retrouver seul, sur ces chemins isolés, te permet de tout relativiser en fin de compte. T’en baves tellement ici et en même temps tu tombes sur des paysages et lieux incroyables que tu en oublies la souffrance face à cette nature. Parfois, tu fais des rencontres qui te marquent. C’est un bonheur ce chemin de croix rRires)…
J’ai dormi dans une abbaye de bénédictins, avec ce silence absolu.
Des anecdotes sur ce parcours?
Il y en a tous les jours. J’ai connu la chaleur dans les Cévennes, un truc assez incroyable en cette période. Puis la grêle, la neige et des pluies diluviennes et tout ça en marchant. Tu es là, tout seul, comme un con, et personne pour t’aider. Tu dois vraiment chercher la force en toi pour continuer. Le soir, je dormais là où je pouvais. Les 7 dernières nuits, je dormais dans des gîtes situés sur ces chemins. Il n’ y avait personne et souvent pas de réception pour le téléphone. Un autre soir, j’ai dormi dans une abbaye de bénédictins avec ce silence absolu près de Toulouse. A 18 h, le vœu de silence total tombait. Ils se déplaçaient et mangeaient sans bruit. Pas question de causer vélo derrière un petit verre qui te réchauffe la gueule à partir de là (rires).
Si tu pouvais inviter des personnalités du vélo avec toi pour cette drôle de marche, qui inviterais-tu ?
(Rires) Chris Froome et David Lappartient. Les deux en même temps si je pouvais mais je doute qu’ils entendent ce message. Chris Froome pour le mettre face à lui-même, face à sa conscience, pour qu’il réalise la place qu’il occupe sur cette terre qui tourne. Qu’il réalise l’héritage qu’il laissera aux futurs générations.
Et aussi David Lappartient pour lui montrer ces villes et villages qui se meurent, de ces courses disparues à jamais sur ces routes bitumées que l’on traverse, de lui parler des choses simples qui sont l’essence du cyclisme et qui disparaissent au fil des ans, bref la base si oubliée dans les hautes sphères. Les deux en mêmes temps car ils pourront enfin régler leurs problèmes loin des pressions commerciales, médiatiques et judiciaires. Deux hommes parlant de leurs visions du cyclisme face-à-face, à la fraîche, sous le jugement de cette nature qui ne leurs fera aucun cadeau. Les grands noms du cyclisme devraient, par moment, se faire un retour aux sources. Car cette interminable histoire fait deux victimes : la jeunesse et le cyclisme.
Paré pour le prochain Kreiz Breizh ?
Bien sûr ! J’ai retrouvé le moral et l’envie de continuer ces événements pour les jeunes et pour le cyclisme féminin avec le Kreiz Breizh Dames. Le cyclisme féminin est magnifique et souvent plus animé que celui des hommes. En France, il crève en silence malgré les belles paroles. Je me devais de créer cette course KBE dames. Je suis revitalisé et prêt à affronter toutes les emmerdes et soutenir toutes ces charges qui ne cessent d’augmenter. J’ai rencontré Daniel Mangeas à Chateaulin dimanche dernier et il m’a dit en riant que j’avais les jambes d’Abdoujaparov tant elles s’étaient musclées après ces 800 kilomètres. J’ai bien ri car tant que mes jambes me suivront, que je mettrais un pas devant l’autre, le Kreiz Breizh continuera. Tant mieux si elles sont encore en parfait état de marche !