La semaine prochaine auront lieu les championnats du monde de cyclisme, à Bergen en Norvège. Une occasion pour nous autres de nous remémorer ceux qui en ont écrit les plus belles pages. Nous pensons alors à Seamus « Shay » Elliott, vice-champion du monde derrière un certain Jean Stablinsky en 1962. Ce jour-là, l’Irlandais aurait pu devenir champion du monde. Lui, le gamin qui joua tout d’abord au Football gaélique et au Hurling (deux des sports nationaux irlandais) n’aurait jamais pensé un jour enfourcher un vélo et devenir ce champion, le premier Irlandais en jaune sur le Tour de France. Celui que les médias « frenchies » décrivent comme l’un des plus grands coureurs britanniques était en fait Irlandais. N’allez pas confondre, »Bloody Hell »…
L’histoire de Seamus Elliot est pourtant l’une des plus méconnues du cyclisme mondial. Une des plus belles mais aussi une des plus tristes. Une « Irish story »! Ce champion est à l’origine des rêves d’autres fils d’Irlande comme Sean Kelly, Stephen Roche, Sam Bennett ou encore Martin Earley.
Pour ses 16 ans, il enfourcha un vieux « biclou » à pignon fixe, histoire de participer à la course locale organisée autour de l’église Saint Brendan. Il y termina second mais remporta tout de même un vélo de compétition. Ce fut la révélation pour ce gosse d’ouvriers sidérurgistes. Une licence tout d’abord au sein du Team Southern Road Club à l’âge de 17 ans, puis la grande équipe nationale Dublin Wheelers en mars 1952. En 1953, il fut champion d’Irlande sur route. En 1955, il prit alors une licence en France au sein de l’AC Boulogne-Billancourt pour y apprendre le job. Les résultats ne se firent pas attendre. Vainqueur de Paris-Évreux, d’étape sur la Route de France et une superbe 5ème place aux championnat du monde la même année. Il tape alors dans l’oeil du manager Raimbault, notamment après une échappée héroïque sur le Het Volk. En 1956, il fut recruté par le Team Pro Heyliet-Potin auprès d’un jeune français du même âge nommé Jacques Anquetil et d’un certain Jean Stablinsky (24 ans à l’époque) et quitta définitivement l’usine de sidérurgie irlandaise où il travaillait. C’est le début de l’aventure professionnelle. Il était ce rebelle, ce dur qui pouvait battre ces « flahutes » invincibles sur leurs terres, il était comme cette song des rebelles irlandais face aux envahisseurs d’anglais: « Oró Sé do Bheatha ‘Bhaile' ». Il était Shay Elliott !
Pour sa première année, il remporte le GP d’Isbergues et ce fut le début d’une belle carrière. En 1959, il met surtout fin à l’hégémonie des Belges sur le Het Volk, en devenant le premier étranger à remporter cette classique. Raymond Le Bert, le soigneur de Louison Bobet, déclara dans un grand rire (lui qui ne riait jamais) : « Ah ah ! C’est un dur, c’est un vrai Flahute ! » En 1962, il était dès lors l’un des favoris des mondiaux à Salo en Italie.
Ce maillot, il le voulait plus que personne. Mais le sort en décida autrement. Dans l’échappée décisive avec son ami Jean Stablinski, qui était alors son coéquipier dans le monde pro au sein de l’équipe Saint Raphaël, l’Irlandais et le français collaborent pour éliminer un à un chaque coureur de ce groupe. Puis Stablinski attaqua seul. Elliot ne fit la poursuite et laissa filer son coéquipier et ami. Dans le dernier kilomètre, Shay Elliott largua aisément tout le monde pour y prendre une belle seconde place. Les médias dubitatifs se penchèrent alors sur l’Irlandais qui admettra finalement avoir sacrifié sa chance au bénéfice de son leader : Jean Stablinski. Le français lui rendit la pareille l’année suivante en 1963 sur le Tour de France où il ne mena pas la chasse non plus, laissant à Seamus la victoire d’étape et le premier maillot jaune irlandais. La légende était née.
Un soir de printemps 71, deux jours après la mort de son père, Shay Elliot chargea son fusil et se logea une balle en pleine tête. L’Irlande était devenue orpheline de son plus grand champion mais il est et restera à jamais notre légende. Shay Elliot, fils de James et Ellen, source d’inspiration pour le King Sean Kelly et tout le cyclisme irlandais.
Il est l’un des rares pros à l’avoir connu, Pat McQuaid, ex président de l’UCI World, ex-pro chez Viking Cycles et double vainqueur du Tour d’Irlande en 75 et 76 :
Pat, que représente Shay Elliot pour les Irlandais ?
Pat Mc Quaid : « Seamus Elliott est et restera la plus grande inspiration pour tous les coureurs irlandais. Il était d’une autre trempe. C’est vrai qu’il est souvent considéré comme un coureur britannique mais je comprends d’où vient cette confusion. À l’époque, nous étions une petite île et pour pouvoir s’exprimer pleinement, pas mal d’entre nous allaient rejoindre les rangs de la sélection britannique, ce qui nous permettait de participer à des courses internationales. Mais il était Irlandais. Il est le premier maillot jaune de notre histoire, le premier vainqueur d’étapes sur les grands tours et le premier vainqueur de classique. Il est notre légende. »
Comment l’as tu connu ?
Pat McQuaid : « Mon père Jim, qui était coureur aussi, était dans son équipe. Lui et Shay était très amis. Lors du Tour d’Irlande 1952, mon père l’avait aidé pour aller chercher la victoire au général. Il termina second mais il s’était battu comme un diable. Par la suite, ils sont restés amis. Je me souviens, j’avais 6 ans et je dormais en pleine nuit. Mon père Jim est venu me chercher dans la chambre. Il m’a dit de descendre pour une surprise au salon. J’ai dévalé les marches en pyjama et j’ai rencontré pour la première fois Shay Elliott. Il est venu chaque hiver par la suite à la maison familiale pour s’y reposer. En 1954, il a rejoint le camp d’entraînement en France auprès de Raymond Le Bert et il est devenu cette légende par la suite. En 1965, il était ultra-favori pour le championnat du monde à San Sebastian, à Lasarte Oria exactement. Alors qu’il était dans l’échappée principale et qu’il était à deux doigts de le remporter, une revanche sur celui de 62, sa selle se brisa nette. Il ne put revenir sur le groupe de tête. »
Shay Elliot reste toujours dans le coeur des Irlandais…
Pat McQuaid : « Oui, il en a inspiré plus d’un. Quand tu vois nos jeunes en 2017 qui partent en France pour apprendre le job, ils passent par le même chemin que Shay ou que Sean Kelly. Il nous faut être près d’eux et permettre de réaliser leurs rêves tout comme Shay. Il y a une classique en Irlande qui est dédiée à Shay, la « Shay Elliott Mémorial ». Je l’ai remporté en 1972 et celle-là, quand tu la gagne en tant qu’Irlandais, tu en es fier. Elle est difficile par son profil vallonné et par la nervosité de la course, elle est à l’image de Shay. Sean Kelly l’a remporté par deux fois aussi, en 1974 et 1975. C’est l’un de mes plus beaux souvenirs. À l’heure actuelle, tu peux être sûr que tout Irlandais veut y participer, qu’il soit en France ou ailleurs. Il revient sur l’île pour lui rendre hommage. Elle est dans notre ADN. »
Penses tu que l’héritage de Shay Elliot existe encore dans le cyclisme irlandais ?
Pat Mc Quaid : « Non, le dernier de ces héritiers était Sean Kelly. Lui et Shay avait cette rage, cette hargne sur les classiques et les grands tours, ils ne faisaient pas de différences. Depuis Sean, je n’en ai pas connu avec cette trempe, ce caractère. «